L’impact de l’impression 3D sur la production d’armes légères

Le trafic illégal d’armes légères et de petits calibres est un fléau qui a pris énormément d’ampleur au fil des siècles. Les historiens sont arrivés à remonter aux premières traces écrites recensées de ce commerce illégal ; cela daterait des guerres napoléoniennes, avec des marchands indépendants qui revendaient des armes aux territoires ennemis.

Depuis le XVIIIe siècle, ce marché noir n’a cessé de prendre de l’ampleur, avec l’accroissement des conflits de grande ampleur, l’industrialisation à grande échelle des armes légères et de petits calibres ainsi que de leurs munitions, les innovations technologiques et techniques, l’augmentation de la population et donc de la demande, etc. Comme tous les commerces légaux, ce trafic illégal s’est réinventé, optimisé et s’est doté d’innovations technologiques.

L’une des dernières en date est la fabrication d’armes létales avec des imprimantes 3D. Elles sont donc 100 % en plastique et imprimables par tous les détenteurs d’une imprimante 3D et, évidemment, des fichiers d’impressions. Ces armes plaisent et se répandent de plus en plus depuis au minimum cinq ans. La clientèle est bien définie : ces armes sont moins précises que celles issues de la manufacture classique, elles ne présentent donc aucun intérêt pour les tireurs sportifs. Elles détiennent un atout majeur : pas de numéro de série, donc quasiment impossibles à tracer, d’où leur surnom de “ghost guns”. Elles sont légères et, pour certains prototypes, très facilement dissimulables. Enfin, l’argument phare est le coût de production, allant de 30 à 100 euros pour un Liberator, pour une personne munie d’une imprimante 3D et du fichier informatique diffusé gratuitement par son inventeur en 2013. Mélangez le tout, et vous obtenez une arme parfaite pour les diverses activités du grand banditisme et du narcotrafic en tout genre.

Impression 3D

Production et vente : quelle est la réelle ampleure des “ghost guns” ?

Les « ghost guns » sont des armes facilement produites et à des prix abordables. La première présence de ces kits remonte à plus d’une dizaine d’années. En mai 2013, un étudiant états-unien libertarien et pro-armes partage sur internet le fichier informatique du « Liberator ». C’est la naissance de la première arme totalement imprimée en 3D, capable de tirer une balle.

Son modèle et design sont largement inspirés, si ce n’est issus du FP45 Liberator. Ce pistolet, développé une nouvelle fois sur territoire états-unien, avait été conçu par l’armée américaine, avec comme objectif de produire un pistolet létale, le moins cher possible. La société Guide Lamp Corporation, à l’origine de ce pistolet, avait bien réussi son défi : pour chaque Liberator produit, il fallait compter 2,40 dollars en 1942. Cela s’explique évidemment par des moyens humains et techniques suppléés par une industrie renforcée dans un contexte de guerre mondiale. Au vu du prix, il a évidemment fallu faire des concessions : ce pistolet n’était pas fiable, avec une portée précise allant jusqu’à 8 mètres, mais chambré tout de même en 11,43 mm, comme le Colt 45.

Le modèle produit par Cody Wilson est, quant à lui, chambré en 9×17 mm, avec une puissance de feu d’environ 200 joules, ce qui est amplement suffisant pour pénétrer toutes les parties du corps humain, même les plus solides. À titre de comparaison, c’est 1,5 fois plus puissant que le .22 Long Rifle (LR) standard, un calibre très répandu parmi les tireurs sportifs. Celui-ci est utilisé avec des balles à tête ronde pour le tir sur cible en papier, avec différentes charges de poudre et tailles d’ogives, offrant ainsi un large choix pour différentes conditions de tir.

Ce calibre est également courant dans les règlements de comptes en raison de son faible coût. Les armes chambrées en .22 LR sont moins chères, tout comme leurs munitions. Toutefois, les balles utilisées par les criminels diffèrent de celles destinées au tir sportif : ils privilégient les balles à pointe creuse pour une expansion maximale sur des cibles vivantes. Malgré cela, ce calibre reste bien moins efficace que le 7.62×39 mm de l’AK-47.

 

L’inventeur de ce nouveau Liberator reprend donc ce concept de produire une arme létale à moindre coût, mais en prenant en compte les évolutions techniques, économiques et sociétales entre 1942 et 2013. Cette arme, comme toutes celles qui ont été développées entre 2013 et 2025, est vendue en kit à assembler, ce qui permet de détourner le système américain sur la vente et la production d’armes.

En effet, l’avantage majeur est que dans ces kits, l’arme n’est assemblée qu’à 80 %. Les trous et vis sont à faire à la maison, donc le kit n’est pas vendu comme une arme, sans obligation de numéro de série ni vérification du casier judiciaire, ce qui est obligatoire aux États-Unis pour toute vente d’arme. Désormais, le Congrès ainsi que le pouvoir réglementaire sont venus encadrer ces ventes jugées illégales. Néanmoins, la production et la vente de ces armes, fichiers informatiques, ne cessent de croître. Cet accroissement se démontre par l’internationalisation de ces armes, notamment un développement majeur de ces armes sur le continent européen, arrivées environ depuis 5 ans.

Outre-Atlantique, aux États-Unis, en 2017, on a dénombré 1 600 saisies. En 2022, ce sont plus de 45 000 armes fantômes qui ont été récupérées par la police. Le Liberator fut le premier, mais depuis, beaucoup de nouvelles armes ont été recensées, allant du Glock 17, par exemple, à l’AK 47. Là où ces armes deviennent plus dangereuses, c’est quand elles sont combinées à des pièces industrielles. Un pistolet imprimé en 3D aurait été saisi lors d’une fouille, selon la police new-yorkaise et le média CBS News, et était pourvu d’une glissière en métal avec un canon fileté et donc un silencieux, ainsi qu’un chargeur de Glock chargé de 6 cartouches de 9 mm. Cela demande néanmoins de grandes compétences techniques dans l’assemblage d’armes à feu. Cela permet de pallier le problème principal, qui est le 100 % plastique, qui craint évidemment beaucoup plus la chaleur que le métal.

Certaines pièces ne peuvent être produites fiablement en plastique, on recense le percuteur et quelques vis ou pièces mineures, facilement trouvables sur internet. Malgré tout, au vu du prix de vente sur le marché noir, de l’absence de numéro de série, certaines de ces armes pourraient devenir des armes à usage unique. Il convient aussi de noter la possibilité, pour ceux ayant des compétences rudimentaires dans l’assemblage d’armes, d’y introduire un canon métallique lisse ou rayé, ce qui améliore la précision, la vélocité, et peut permettre une légère diminution de l’usure prématurée. Malgré une fiabilité peu reconnue par les professionnels, le secteur des armes 3D ne cesse de se réinventer. La dernière invention majeure est le FGC-9, une arme imprimable en 3D, montable en 40 heures en comptant l’impression, avec des pièces métalliques achetables sur internet dont la vente n’est pas réglementée, et de ce fait dépourvues de numéro de série. C’est une arme semi-automatique tirant des cartouches de 9 mm, étant pour le moins complexes. Il convient de développer ses capacités et son élaboration dans un article futur.

Une présence en plein essor sur le marché noir des ALPC :

Une des plus grandes innovations ayant contribué au développement de ce marché noir a été l’arrivée du dark web. Bien que les trafiquants d’armes ne soient pas à l’origine de cette invention, ils ont su se réinventer et développer un commerce de plus grande ampleur. Ce réseau n’est pas centralisé et repose principalement sur des technologies comme Tor ou I2P, qui masquent l’identité des utilisateurs et dispersent les connexions à travers un réseau mondial de nœuds.

Depuis 2013, une application s’est toutefois largement développée et apparaît malheureusement dans plusieurs affaires de narcotrafic, de pédophilie, de trafic d’êtres humains ou encore de diffusion massive de vidéos de meurtres. Il s’agit de Telegram, accessible à tous les détenteurs d’un smartphone et d’une connexion Internet, sans nécessiter de compétences informatiques particulières ni de matériel spécifique. Contrairement au dark web, c’est une application centralisée, c’est-à-dire que toutes les données des utilisateurs transitent par des serveurs appartenant à Telegram. De plus, l’application propose des fonctionnalités comme le chiffrement de bout en bout dans les chats secrets, bien que ces échanges passent tout de même par les serveurs de Telegram. Le partage de ces informations dépend de la volonté du PDG et de ses équipes, qui se sont parfois montrés peu coopératifs en matière de divulgation de données. Cela a conduit à l’arrestation de certaines figures liées à l’application, accusées d’avoir facilité des activités criminelles.

Telegram est donc une messagerie privée qui sert aussi bien aux utilisateurs classiques qu’aux trafiquants en tout genre (drogue, armes, etc.). Le dark web et Telegram constituent ainsi deux innovations majeures pour le marché noir des ALPC. L’un des impacts de cette évolution est la diffusion de fichiers informatiques permettant la fabrication d’armes, ce qui contribue grandement à leur prolifération à travers le monde. Certains de ces fichiers sont même partagés gratuitement par leurs créateurs, comme ce fut le cas pour l’inventeur du Liberator 3D et celui du FGC-9, deux libertariens convaincus souhaitant offrir à chacun la possibilité de posséder une arme. Avec ces inventions, il devient possible pour n’importe qui de s’armer chez soi à l’aide d’une imprimante 3D et de filaments adaptés, posant ainsi un défi majeur aux pouvoirs publics, qui tentent depuis des décennies de mieux contrôler et recenser les détenteurs d’armes à feu.

Pour conclure, il existe bel et bien un réseau de vente via Internet, mais aussi des marchands d’armes plus classiques qui ont saisi l’opportunité de produire et revendre ces armes superfétatoires imprimées en 3D. Il conviendra également, dans un futur article, d’analyser la réponse des législateurs face à ces armes, en procédant à une étude de droit comparé entre les différents pays ayant décidé d’agir contre cette menace en plein essor.

Victor Giaminardi, Président de  la Commission spéciale dédiée à l’Industrie des ALPC de l’INAS

L’INAS a pour mission de contribuer au débat public sur les questions stratégiques. Ses publications reflètent uniquement les opinions de leurs auteurs et ne constituent en aucune manière une position officielle de l’organisme.

Pour aller plus loin :

  • Chasan, A. (2024, 12 décembre). Ghost Guns: What to Know. CBS News. https://www.cbsnews.com/news/ghost-guns-what-to-know/.

  • Bureau des affaires de désarmement de l’ONU. (n.d). Étude de l’Organisation des Nations Unies sur l’éducation en matière de désarmement et de non-prolifération. Organisation des Nations Unies. https://disarmament.unoda.org/fr/etude-de-lorganisation-des-nations-unies-sur-leducation-en-matiere-de-desarmement-et-de-non-proliferation/.

  • Vary, S. (2024, 11 décembre). Qu’est-ce qu’un ‘Ghost Gun’, cette arme en kit utilisée par le meurtrier de Brian Thompson ? Le Figaro. https://www.lefigaro.fr/international/qu-est-ce-qu-un-ghost-gun-cette-arme-en-kit-utilisee-par-le-meurtrier-de-brian-thompson-20241211.

  • Thomas, J. (2024, 6 septembre). Pavel Durov, PDG de Telegram, déclare que l’arrestation en France est malavisée. Euronews. https://fr.euronews.com/next/2024/09/06/pavel-durov-pdg-de-telegram-declare-que-larrestation-en-france-est-malavisee.

  • Syo [Pseudonyme]. (n.d.) Pourquoi centraliser vos applications en entreprise ? Synomega. https://www.synomega.com/2022/02/pourquoi-centraliser-vos-applications-en-entreprise/.

  • Organisation des Nations Unies. (n.d). Désarmement. Nations Unies. https://www.un.org/fr/global-issues/disarmament.

  • Nouvelle École. (n.d). Armes imprimées en 3D : enjeux et réalités. Nouvelle École. https://www.nouvelleecole.fr/blog/arme-imprime-en-3d.

  • Guttin, C ; Donzel, T ; Laigle, B ; Sullivan, K ; Setyon, L ; Monange, A. (2022, 15 avril). États-Unis : Que sont les ‘Ghost Guns’, les armes en kit qui déferlent sur les États-Unis ? France Info. https://www.francetvinfo.fr/monde/usa/controle-des-armes-aux-etats-unis/etats-unis-que-sont-les-ghost-guns-les-armes-en-kit-qui-deferlent-sur-les-etats-unis_5084401.html.