La France dans les missions navales européennes : le cas des opérations EUNAVFOR ASPIDES et EUNAVFORMED IRINI

L’Union Européenne (UE) a publié son premier Livre Blanc de la défense européenne le 19 mars 2025, un programme visant à stimuler les investissements en matière de défense et à renforcer les capacités de défense européennes. Cet ambitieux projet, prenant place soixante-treize ans après l’échec de la Communauté Européenne de Défense (CED), estime que « L’Europe est confrontée à des menaces et des défis sécuritaires croissants, dans sa région et au-delà. La concurrence stratégique s’intensifie dans notre voisinage élargi, de l’Arctique à la Baltique en passant par le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.» Principalement destiné à permettre (de meilleures capacités industrielles de défense, le Livre Blanc incarne plus globalement des opportunités de coopération européenne dans le domaine de la défense.

Signé le lendemain de la prolongation du mandat de la mission européenne EUNAVFOR MED IRINI jusqu’en 2027, ces différents projets et missions attestent d’une prise de conscience européenne de l’importance du cadre de l’UE dans le domaine de la défense, et d’une remise en cause – même partielle pour certains États – de la dépendance à l’OTAN.

France missions navales européennes

Quelles sont les principales missions navales au sein de l’UE ?

L’Union Européenne est présente militairement sur plusieurs théâtres géographiques, notamment en Méditerranée et mer Rouge, à travers deux missions navales : EUNAVFOR Aspides et EUNAVFOR MED IRINI, mais également dans l’océan Indien avec l’opération Atalante. Pour chacune d’entre elles, la France participe humainement et matériellement, à travers l’envoi de bâtiments marins comme des frégates, et des forces aéronavales. Ces déploiements sont facilités depuis la base française de Djibouti, qui permet aux forces nationales de rapidement se déployer au sein de ces missions, contrairement à d’autres États participants comme l’Allemagne ou les Pays-Bas, qui n’ont pas accès à autant d’infrastructures à l’international.

 

Plus spécifiquement, créée en février 2024 par une décision du Conseil européen, l’opération européenne EUNAVFOR Aspides est une mission purement défensive, visant à préserver la liberté de navigation et la sécurité maritime en mer Rouge. Sa zone d’opération, selon son mandat, comprend le détroit de (Bab-el-Mandeb) et le détroit d’Hormuz, ainsi que les eaux internationales de la mer Rouge, du golfe d’Aden, de la mer d’Arabie, du golfe d’Oman et du golfe Persique. D’un point de vue opérationnel, la mission Aspides est sous commandement grec et est dirigée depuis une base militaire grecque. Par ailleurs, en raison de la menace houthie concernant d’autres pays commerciaux, la mission européenne se déroule en étroite collaboration avec la mission américaine Prosperity Guardian.

Du point de vue français, l’Hexagone contribue continuellement à cette mission européenne, à l’instar de ses voisins. En effet, la France y déploie en permanence une frégate, permettant ainsi à l’UE de se positionner comme « un acteur permanent de la sécurité maritime, au moins en océan Indien ». Concrètement, la mission Aspides est considérée comme l’une des plus « actives », selon le personnel militaire français, « on n’a jamais vu autant de missiles voler. C’est la plus exposée à des attaques ». Ainsi, le positionnement de la Marine nationale, d’un point de vue humain et capacitaire, octroie à la France une certaine voix dans les stratégies opérationnelles. Alors que le commandant d’Aspides appelle les pays européens à augmenter leur contribution à la mission en raison de la fréquence et de la précision des frappes houthies, la France, seule présence permanente, peut se déclarer comme « incritiquable » face aux déploiements limités de ses voisins.

 

De son côté, la mission Irini, lancée le 31 mars 2020, vise à faire respecter l’embargo des Nations unies sur le transport d’armes à destination de la Libye. En parallèle, elle contribue à faire appliquer les mesures de l’ONU rendant illicite l’exportation de pétrole libyen. Par ailleurs, l’opération renforce la formation et les capacités des garde-côtes libyens. Mandatée par la Politique de Sécurité et de Défense Commune (PSDC) européenne et sous commandement italien, la mission a, depuis son lancement arraisonné et inspecté 31 navires suspects. À trois reprises, Irini a saisi des cargaisons considérées comme violant l’embargo sur les armes décrété par l’ONU et a détourné les navires vers un port d’un État membre de l’UE. Parallèlement, la mission a et continue d’investiguer des navires marchands, des ports et aéroports suspectés de violer l’embargo. Au cours de la mission, la France a déployé successivement ou simultanément des frégates, comme les FLF Languedoc et Alsace, ainsi que des patrouilleurs de haute mer (PHM), tel que le PHM Commandant Bouan et le PHM Commandant Ducuing dans le cadre de l’opération Irini, mais également des aéronefs, tels que le Falcon 50, afin d’assurer la surveillance maritime.

 

La France rencontre néanmoins des difficultés à soutenir ces deux missions

Un retour d’expérience (RETEX) de la mission Aspides datant de 2025 met en évidence les difficultés de la Marine nationale  concernant  les moyens pouvant être déployés et les engagements de la France. Comme exprimé plus tôt, la Marine nationale a constamment maintenu une frégate en mer Rouge. Cette participation permanente à Aspides a engendré une « suractivité », qui l’a obligée à « faire des choix dans ses priorités, en prélevant des bateaux jusqu’à présent affectés à d’autres opérations ». En effet, des lacunes apparaissent entre les engagements français au sein de nombreuses missions et exercices internationaux et européens, couplés à la nécessaire présence de forces navales françaises ayant pour but d’assurer la dissuasion, l’opérabilité et l’influence française en mer.

La mission Aspides est également un enjeu stratégique et opérationnel pour la France et ses alliés européens, puisque les moyens offensifs et défensifs adverses sont comparables -voire supérieurs aux capacités européennes. Dans ce contexte, la priorisation des engagements de la Marine définit les moyens alloués à chaque mission, mais les enjeux politiques, diplomatiques et sécuritaires sont aussi des paramètres essentiels à prendre en compte. Par conséquent, la mission Irini bénéficie d’un engagement moindre de la part de l’Hexagone, que ce soit en termes de ressources humaines ou de capacités matérielles.

Dans ce contexte, plusieurs spécialistes français prônent une mutualisation des opérations militaires européennes, afin de permettre un plus grand engagement de la part des États membres et d’optimiser les forces navales françaises. Ainsi, une solution qui pourrait être apportée serait la fusion des opérations Aspides et Irini en raison de leur proximité géographique, des similitudes de moyens déployés et du cadre juridique et politique. Parallèlement au besoin de mutualiser l’effort financier de la défense européenne, il semblait déjà nécessaire pour l’ancien président François Hollande de se pencher sur « la cohérence à rétablir entre les missions, le format et les équipements des armées, préservant aussi, dans la durée, la disponibilité des matériels et l’entraînement et l’activité des forces », cette logique s’applique aujourd’hui pour ces opérations européennes. Le rapport entre capacité, financement, et moyens humains pose ainsi la conjecture d’une mise en commun plus large des outils de la défense européenne. Portée par des pays comme la France, cette stratégie soulève néanmoins plusieurs enjeux, notamment la perte d’influence pour les pays commandants ces missions, mais représente également une contrainte pour les autres pays membres puisque l’argumentaire d’un manque de capacité logistique et opérationnel ne serait plus permis. Par ailleurs, les différences d’appréciation de la menace et des besoins divergents selon les pays peuvent influencer la politique des missions européennes. A terme, l’intensification et la technicité des conflits pourrait engendrer des logiques de priorisation et mutualisation des efforts militaires français dans les missions navales européennes, les missions Aspides et Irini en étant un parfait exemple.

 

Axelle Bories-Azeau, Analyste au sein de la Commission des Affaires maritimes de l’INAS

L’INAS a pour mission de contribuer au débat public sur les questions stratégiques. Ses publications reflètent uniquement les opinions de leurs auteurs et ne constituent en aucune manière une position officielle de l’organisme.

Pour aller plus loin :

  • Commission Européenne, « La Commission présente le livre blanc sur la défense européenne et le plan « ReArm Europe », 19 mars 2025.

  • Service Européen d’Action Extérieure, Rapport d’Activité EUNAVFOR MED Irini de Janvier 2025, 6 février 2025.

  • Service Européen d’Action Extérieure, « EUNAVFOR MED IRINI: European Union Naval Force IRINI – Military Operation », 30 novembre 2020.

  • Service Européen d’Action Extérieure, « About the Operation EUNAVFOR ASPIDES », 20 février 2024.

  • Ouest France, « L’UE espère lancer la mission Aspides en mer Rouge d’ici la mi-février », 1 février 2024.

  • Opex360, « La force européenne Aspides manque de navires pour assurer la protection du trafic maritime en mer Rouge », 24 juin 2024.

  • Opex360, « À la lumière de l’opération Aspides, un rapport appelle à « repenser le format de la Marine nationale », 21 novembre 2024.

  • Ministère des Armées, « Opération EUNAVFOR MED IRINI ».

  • Le Figaro, « Mer Rouge : les succès de l’opération européenne Aspides contre les attaques houthistes », 25 mars 2024.

  • Fenêtre sur l’Europe, « Mutualisation des moyens militaires et consolidation de la défense, impératifs pour l’UE », 18 juillet 2012.

  • Commission Européenne, Joint White Paper for European Defence Readiness 2030, 19 mars 2025.