À l’horizon 2030, les armées évolueront sur des théâtres d’opérations toujours plus variés et imbriqués, plus surveillés, où l’avantage technologique et la capacité à conserver l’effet de surprise seront remis en question. La supériorité offensive de la France passera donc par ses capacités de projection de puissance, permises par les nouvelles armes navales et notamment les armes hypervéloces et armes à énergie dirigée (AED).
Les armes hypervéloces et AED s’incarnent dans un contexte stratégique influencé par les nouvelles technologies et la guerre électronique navale. Afin de pouvoir conserver des capacités offensives nécessaires et de pouvoir s’en défendre, les armées investissent dans ces nouvelles armes ; plus performantes et rapides.
Symboles d’une modernisation militaire, les armes et plus précisément les missiles hypervéloces allient très haute vitesse et manœuvrabilité, rendant leur interception plus complexe que les missiles classiques. Ces missiles hypervéloces sont caractérisés par une vitesse supérieure à Mach 5 et ont la faculté de pouvoir manœuvrer durant le vol. Divisés en trois catégories, ces armes recouvrent les missiles balistiques, les planeurs (sol-sol) et les missiles de croisière hypersoniques. Leur objectif principal est les frappes terrestres en profondeur, tiré depuis la mer ou la terre, ils ont vocation à contrer les systèmes antiaériens modernes et notamment les capacités antibalistiques. Lancés depuis une frégate ou un sous-marins, les missiles balistiques peuvent ainsi prendre le rôle de leurre anti-aérien ou de défense anti balistiques, alors que les missiles hypersoniques ont une portée plus réduite que les précédents et restent à altitude fixe pendant la phase de croisière, afin d’optimiser leur consommation de carburant et d’atteindre une vitesse idéale. Servant des missions différentes, ces deux types de nouvelles armes entretiennent plus longtemps l’ambiguïté sur la cible visée et sur la nature de leur charge.
La défense française abrite également les armes à énergie dirigée dites AED, comprenant plusieurs types d’armes, elles sont caractérisées par une énergie (électrique ou chimique) extrêmement importante et participent à la défense anti-aérienne. Les AED, englobant les armes laser et les armes à micro-ondes, ont d’une part un moindre coût comparé aux munitions traditionnelles (1 tir coûte moins d’1€) et d’autre part, ne nécessitent qu’une grande quantité d’énergie et une vitesse de propagation (vitesse de la lumière). Possédant de nombreux avantages, elles ont la possibilité d’être non létales et, agissant par effet thermique, ont une puissance modulable et par extension, un niveau de destruction modulable en temps réel. Leur usage rapide et furtif rendent donc difficile l’identification précise d’un responsable en raison de l’absence d’effet mécanique. Ainsi, les AED sont de nouveaux outils pour les armées et la défense des bâtiments militaires, notamment en mer, que ce soit pour des missions offensives ou défensives.
L’augmentation des performances des arsenaux balistiques sur la scène internationale, s’inscrit dans une logique de réponse à des besoins opérationnels et politiques. En effet, la médiatisation des essais de missiles balistiques effectués par les principaux pays proliférants a comme principal objectif d’afficher leur capacité de dissuasion dans des conflits extrarégionaux. La France doit donc faire face à de plus en plus de menaces de haute intensité et il devient de plus en plus compliqué de s’en prémunir. Ainsi, la loi de programmation militaire 2024-2030 est chargée de « transformer » la marine et les armées : « des sauts technologiques sont attendus pour maintenir la place de la France dans le domaine de la défense ». Ce saut technologique s’inscrit donc dans la force de dissuasion souveraine française qui a une vocation exclusivement défensive. La dissuasion s’exerçant à travers deux composantes, une aéroportée et une navale, est permise essentiellement par les Sous-marins Nucléaires Lanceurs d’Engins (SNLE), bâtiments porteurs du système missile intercontinental M51. Ce missile M51, de type missile Mer-Sol Balistique Stratégique (MSBS) est un lanceur à trois étages à propulsion solide, lancé sous l’eau depuis un SNLE en plongée, il traverse l’atmosphère pour rejoindre l’espace à une altitude supérieure à 2 000 kilomètres. Il rentre ensuite dans l’atmosphère à la vitesse de 20 000 km/h (Mach 20). Ces capacités de vitesse et de profondeur sont des atouts autant stratégiques que dissuasives permettant aux bâtiments navals de se défendre mais également de dissuader.
La dissuasion française est également effectuée à l’aide du missile de croisière naval (MdCN) (anciennement appelé SCALP Naval) tiré depuis des plateformes navales comme les frégates multi-missions (FREMM) et par des sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) (classe Suffren). Le MdCN offre une capacité de première frappe rapide, massive et coordonnée, ainsi qu’une complémentarité avec les missiles de croisière aéroportés. Permettant de frapper des objectifs situés dans la profondeur d’un territoire adverse, et de type « fire and forget » (après le départ du missile, il n’est plus possible de modifier sa mission ou de le détruire en vol), il est conçu pour se diriger de manière autonome avec une grande précision jusqu’à sa cible. Néanmoins, malgré trois lancements réussis depuis la frégate Languedoc, les premiers tirs n’ont pas pu être finalisés dès le premier essai depuis la FREMM Aquitaine, la raison est encore inconnue puisque la réponse apportée par le ministère des Armées est rappelée au secret défense. Mais cette première erreur démontre de l’instabilité et de l’ « immaturité » de ces armes nouvellement conçues.
Au niveau opérationnel, et contrairement au SCALP où l’emploi de l’avion nécessite une logistique très lourde et des autorisations de franchir des espaces aériens étranger, la marine profitent de son côté, de la liberté de naviguer dans les eaux internationales permettant au missile de croisière naval d’être employé sans avoir besoin de demander une autorisation. En clair, les missiles de croisière apportent des possibilités d’action et de défense plus facilement opérable et avec une profondeur territoriale essentielle pour la Marine.
L’importance stratégique de ces armes hypervéloces est d’autant plus importante pour la France qui s’incarne comme le seul État européen disposant de l’arme nucléaire et d’armes stratégiques comme celle-là, sans dépendre des Etats-Unis. La défense navale française permise par les missiles MdCN et MSBS, s’étend à la défense des intérêts, des territoires, mais également à l’influence française en mer. La Marine française se doit donc d’investir dans les nouvelles technologies afin d’assurer son autonomie stratégique.
Selon le Document de référence de l’Orientation de l’Innovation de Défense (DrOID), l’intérêt structurel des coopérations, notamment européennes, réside dans une interopérabilité et une interchangeabilité avec les partenaires mais aussi dans la recherche de coûts d’échelle en mutualisant les besoins, et en permettant l’accès à des projets ou études que la France ne pourrait pas financer seule. La France promeut dès que possible de telles coopérations, en limitant son périmètre de souveraineté nationale au strict nécessaire, tant au travers de structures multilatérales (AED, OCCAr, …) que de coopérations directes entre pays. C’est dans cet esprit qu’est né le programme Principal Anti-Air Missile System missile (PAAMS) dans les années 90, en coopération avec le Royaume-Uni et l’Italie, ayant vocation de protéger les groupes aéronavals des menaces aériennes. Installé sur les frégates antiaériennes de type Horizon (franco-italienne) et T45 britanniques, il comprend des missiles de défense anti-aérienne, des systèmes radars et peut également être porté par l’Aster 30 naval. Intégrant des capacités missiles (tactiques) intercepteurs d’avions (endoatmosphériques), il fournit une « autodéfense » à réaction rapide pour les capacités maritimes. Néanmoins, la France s’est retirée en 1995 de ce programme pour développer son propre système, l’Aster 15/30 et le système de gestion de combat associé, le SAAM (Système Anti-Air de la Marine) pour les navires français. Malgré ce retrait, les FREMM et les frégates Horizon sont équipés du système PAAMS avec les missiles Aster (MBDA France), et sont intégrés dans le système de gestion de combat français. Par ailleurs, les missiles de défense aérienne Aster 30 font l’objet d’une coopération européenne importante puisque la France, l’Italie, et le Royaume-Uni ont commandé le 15/03, environ 200 de ces missiles afin de garnir leur défense navale et anti-aérienne. Ce contrat a également pour mission d’accélérer la production des précédents missiles commandés en 2022 et par extension, de mutualiser les achats de défense européen.
En résumé, la France n’est plus partenaire direct du programme PAAMS mais bénéficie de ses avancées grâce à l’interopérabilité des systèmes de défense européens, tout en poursuivant le développement de sa propre capacité de défense aérienne. En effet, elle a notamment développé le système HELMA-P (High Energy Laser for Multiple Applications – Power), une arme à énergie dirigée conçue pour neutraliser des menaces aériennes, notamment les drones. Testé avec succès en 2023 à bord d’une frégate de la Marine nationale en Méditerranée. A noter que ce système pourrait être intégré dans une coopération européenne plus large.
Même si la France appelle à la coopération européenne, se retirer de ce type de programme envoie des signaux différents aux partenaires et ne participent pas à la crédibilité française au sein de coopération industrielle d’avenir comme dans ce domaine. Il est compréhensible que la souveraineté nationale de ce genre d’armes nouvelles soit privilégiée, néanmoins, l’ambition française de devenir un acteur incontournable et leader dans les projets militaires européens peut être réduite.
Finalement, ces nouvelles capacités, symboles d’une marine plus audacieuse et résolument tournée vers l’innovation, sont essentielles pour maintenir une supériorité opérationnelle et défendre les intérêts français en mer, mais sont aussi le reflet des limites des projets de coopération industriels.
Axelle Bories-Azeau, Analyste au sein de la Commission de Défense Navale de l’INAS
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Pour aller plus loin :
« Les missiles hypervéloces : une technologie stratégique mais immature », Centre d’études stratégiques de la Marine (CESM), n°254.
« La France, l’Italie et le Royaume-Uni complètent leurs stocks de missiles de défense aérienne », Direction Générale de l’Armement, Ministère des Armées, 14/03/2025
« France, Italy and the UK order more than 200 additional Aster missiles from MBDA », Naval News, 14/03/2025
« FSAF-PAAMS : The Next Generation Of Surface-To-Air Anti-Missile Systems », Organisation Conjointe de Coopération en matière d’Armement (OCCAR)
« La défense antimissile balistique : bouclier militaire ou défi stratégique ? », Rapport d’information n° 733 (2010-2011), Sénat, 06/07/2011
« Missile de croisière naval (MdCN) : Les étapes d’un tir », Cols Bleus, 2021
Fiche produit MdCN/NCM, MBDA
« Il faut durcir la Marine nationale », Entretien avec le chef d’état-major de la Marine Nationale, l’Amiral Nicolas Vaujour, Lemarin, (24/10/24)
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