HVO dans le transport lourd : défis et perspectives

Face aux réglementations environnementales de plus en plus strictes, le secteur du transport routier se voit contraint de trouver une alternative au diesel, un carburant fortement émetteur en oxydes d’azote et contributeur au réchauffement climatique. L’essor de son homologue biologique, le HVO, acronyme de Hydrotreated Vegetable Oil, est une porte ouverte vers la décarbonation de ce secteur, ne disposant pas aussi facilement de la solution électrique comme l’automobile. Si le HVO n’était au début disponible qu’auprès de distributeurs agréés, un arrêté gouvernemental de fin juin 2024 vient d’autoriser son déploiement dans les stations-service, un pas en avant pour ce carburant qui se heurte encore à des obstacles techniques et réglementaires.

HVO transport lourd

Le HVO, le diesel renouvelable “vert” entre essor et difficulté

Le HVO est un carburant d’origine biologique chimiquement identique au diesel fossile dont la production repose sur l’hydrogénation à haute pression et haute température en présence d’un catalyseur de graisses animales, de résidus agro-alimentaires et huiles usagées. Il est ainsi dit de la seconde génération : il ne fait pas usage de ressources sollicitées pour la production alimentaire animale ou humaine, évitant ainsi tout conflit d’usage. Pour obtenir ce carburant à l’empreinte carbone considérablement diminuée, il est nécessaire que l’hydrogène utilisé dans le procédé soit généré à partir d’une source d’énergie renouvelable, telle que l’éolien ou le solaire. Sa production se découpe en deux étapes : la purification des matières premières intervient dans un premier temps pour éliminer les impuretés via un raffinage physique. Ce traitement inclut un dégommage enzymatique, une adsorption et une désacidification qui sont couplés à d’autres traitements physiques et thermiques pour éliminer les résidus de chlore, polyéthylène ou encore acides gras. La seconde étape consiste en l’extraction de l’oxygène des matières premières par l’hydrogène, via un processus de raffinage chimique pour obtenir des hydrocarbures. Le produit obtenu est finalement traité pour affiner ses propriétés et accroître sa pureté.

Le HVO représente aujourd’hui une solution de transition concrète dans le paysage énergétique du transport lourd européen. Pour bien comprendre son importance, il faut saisir que ce biocarburant occupe déjà une position significative avec 4 % du parc diesel européen et une production annuelle d’environ 6 millions de tonnes. L’avantage fondamental du HVO réside dans son caractère « drop-in », c’est-à-dire sa compatibilité parfaite avec les moteurs diesel existants. Contrairement aux e-carburants qui nécessitent des adaptations techniques complexes, ou aux véhicules électriques qui imposent un changement complet d’infrastructure, le HVO peut être utilisé immédiatement dans les véhicules actuels sans aucune modification. Cette simplicité d’intégration explique son adoption rapide par les transporteurs qui cherchent à réduire leur empreinte carbone sans bouleverser leurs opérations.

Sur l’ensemble de son cycle de vie, le HVO émet prêt de 90% de dioxyde de carbone en moins et la réduction des émissions de GES est estimée à 33% par rapport à un diesel d’origine fossile. La popularité du HVO au sein du secteur routier s’accroît progressivement par une volonté des transporteurs de réduire l’impact carbone de leurs livraisons. En Belgique, le distributeur de carburants Maes Energy & Mobility a ouvert deux stations-service HVO et approvisionne en vrac les transporteurs Snel Logistics Solutions et Tailormade. Parmi les nouvelles technologies qui visent à décarboner le transport routier, le HVO est souvent privilégié par son coût plus faible que le GNL ; l’électrification des camions reste encore marginale par le poids des batteries et l’autonomie disponible.
La principale fragilité du HVO réside dans sa dépendance aux matières premières, un défi qui illustre parfaitement les tensions entre ambitions environnementales et réalités économiques. Les coûts de collecte et de prétraitement des huiles usagées et graisses représentent entre 60 et 80 % des coûts opérationnels de production. Cette proportion considérable rend la filière extrêmement sensible aux fluctuations des marchés mondiaux des matières premières. L’exemple de la suspension des exportations d’huiles usagées par la Chine en 2022-2023 démontre cette vulnérabilité. Cette décision géopolitique a provoqué une hausse de 30 % des prix, impactant directement les marges des producteurs européens. Cette situation révèle une réalité souvent négligée : les biocarburants, bien que produits localement, dépendent souvent de chaînes d’approvisionnement mondiales pour leurs matières premières.
Par ailleurs, les exigences environnementales complexifient encore davantage l’équation. Les certifications durables comme ISCC ou RSB, ainsi que les critères ILUC qui évaluent les changements indirects d’affectation des sols, restreignent l’usage des huiles issues de cultures dédiées. Cette contrainte réglementaire, nécessaire pour éviter la concurrence avec l’alimentation humaine, oriente mécaniquement la filière vers les déchets et résidus, limitant ainsi les possibilités d’expansion rapide de la production.

L'équation économique du HVO

L’analyse des coûts révèle une situation plus favorable que celle des e-carburants mais encore défavorable par rapport au diesel fossile. Une raffinerie HVO de taille moyenne, capable de traiter entre 0,2 et 0,5 million de tonnes par an, nécessite un investissement initial de 300 à 1 000 euros par kilowatt de capacité. Ces montants, bien qu’élevés, restent nettement inférieurs aux coûts des installations d’électrolyse pour les e-carburants, qui atteignent 1 200 à 1 400 euros par kilowatt en Europe. Le coût total de production du HVO oscille entre 600 et 1 100 euros par tonne, soit environ 0,50 à 0,90 euros par litre. Cette fourchette représente un surcoût de 50 à 70 % par rapport au diesel fossile. L’efficacité énergétique du HVO, évaluée sur l’ensemble de la chaîne « puits-roue », atteint environ 40 %. Le processus de production nécessite de l’hydrogène, qui représente 15 à 20 % des coûts opérationnels, créant une dépendance supplémentaire aux marchés de l’hydrogène industriel.


Volvo Trucks valorise particulièrement le caractère « plug & play » du HVO100 sur ses gammes diesel lourds, reconnaissant dans cette solution une transition pragmatique vers la décarbonation. Cependant, l’entreprise alerte sur la volatilité des coûts et souligne l’enjeu stratégique d’une chaîne d’approvisionnement fiable. Cette position reflète la réalité des constructeurs qui doivent proposer des solutions immédiates tout en préparant les transitions technologiques futures.

 

Les exigences européennes de durabilité et la fragmentation des soutiens nationaux : des freins au développement des HVO

La directive RED II, et sa version actualisée RED III, impose un seuil minimal de 65 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour les biocarburants, porté à 70 % à partir de 2030. Le HVO produit à partir de déchets atteint couramment 90 % de réduction, dépassant largement ces exigences. Cependant, les facteurs ILUC pénalisent les huiles issues de cultures dédiées, poussant la filière vers les résidus, parfois au détriment de l’expansion de la capacité de production. Cette orientation réglementaire, bien que justifiée par les enjeux de durabilité, crée une tension entre ambitions quantitatives et contraintes qualitatives. Elle illustre la complexité de développer des filières bioénergétiques véritablement durables dans un contexte de ressources limitées.
Ensuite, plusieurs États européens ont mis en place des mécanismes d’incitation financière pour soutenir l’adoption du HVO. La France propose un bonus GES, la Suède applique un mandat CO₂, et l’Allemagne offre des réductions de TICPE pour proportionnelles aux litres de HVO réellement consommés. Cependant, ces instruments varient largement en termes de montants et de critères d’éligibilité, créant un patchwork réglementaire peu propice à la planification stratégique des flottes de transport. Cette fragmentation complique la prise de décision pour les transporteurs opérant à l’échelle européenne, qui doivent naviguer entre des réglementations nationales divergentes pour optimiser leurs investissements dans les technologies de décarbonation.

La situation française, entre volonté et incohérence

Un projet conséquent permettant de développer l’approvisionnement du HVO en France est le partenariat entre Bolloré Energy, le finlandais Neste et le distributeur d’e-fuels Altens. Annoncé au salon Solutrans fin 2023, ce partenariat permet d’introduire pour la première fois dans l’hexagone le carburant renouvelable HVO100 “Neste MY Renewable Diesel”. Bolloré Energy, fort de son réseau de dépôts d’1,2 million de m³ et de plus de 100 agences, en assure la distribution exclusive depuis janvier 2024, offrant aux transporteurs routiers une solution capable de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 75 à 95 % sur l’ensemble du cycle de vie. Cette démarche complète la gamme bas-carbone de Bolloré Energy, déjà constituée de bio-fioul, B100 ainsi que de carburant synthétique Izipure et s’inscrit dans les objectifs français de décarbonation du transport, tandis que Neste sécurise ainsi l’accès au marché hexagonal pour son diesel renouvelable, ouvrant la voie à un déploiement progressif dans les stations-service et à de nouvelles applications, notamment dans le fret ferroviaire et l’aviation durable. Malgré cette volonté de développement, le cadre réglementaire actuel présente des contradictions qui pénalisent l’adoption du HVO. La classification Crit’Air, système français de vignettes environnementales, illustre parfaitement cette problématique. Les véhicules utilisant du HVO héritent de leur classification Euro d’origine, généralement Crit’Air 2 ou 3, les privant des avantages d’accès aux zones à faibles émissions. Cette situation paradoxale traite de manière identique un véhicule roulant au diesel fossile et un autre utilisant un biocarburant réduisant les émissions de gaz à effet de serre de 90 %. Les acteurs du secteur, incluant constructeurs, transporteurs et ONG, militent pour l’attribution d’un Crit’Air 1 aux poids lourds HVO100, au même titre que le GNV, les hybrides et l’électrique. Cette revendication vise à valoriser concrètement la contribution du HVO à l’amélioration de la qualité de l’air urbain.
Face à ces défis réglementaires, Volvo Truck France estime qu’une harmonisation européenne des critères « Crit’air » pour reconnaître équitablement les bénéfices environnementaux du HVO serait judicieuse. Le HVO s’impose aujourd’hui comme une solution concrète et immédiatement disponible pour accompagner la décarbonation du transport routier lourd, secteur pour lequel l’électrification reste encore marginale. Fort de ses performances environnementales et de sa compatibilité avec les moteurs existants, il représente une voie de transition crédible vers des mobilités plus durables. L’exemple du partenariat entre Bolloré Energy, Neste et Altens montre que des dynamiques industrielles ambitieuses sont déjà en marche. Toutefois, son développement à grande échelle reste conditionné à la sécurisation des chaînes d’approvisionnement, à une évolution réglementaire et à un soutien économique approprié à l’échelle européenne pour convaincre durablement les acteurs du transport.

Antonin Honiat, Romain Kadouri et Élise Pignon, Commission de l’Energie et de l’Environnement de l’INAS

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