Les innovations technologiques transforment en profondeur la manière dont les forces armées mènent leurs opérations, redéfinissant ainsi les notions de stratégie et de performance sur le champ de bataille. Parmi ces avancées, l’intégration d’exosquelettes, l’automatisation des drones en essaims et les systèmes d’aide à la décision basés sur l’intelligence artificielle symbolisent une nouvelle ère de modernisation militaire. Ces technologies, développées par les BITD des plus grandes puissances, répondent à des enjeux cruciaux : optimiser les capacités des soldats, améliorer la coordination des opérations mais aussi garantir une supériorité tactique face aux adversités croissantes. Cet article propose d’explorer ces innovations qui redéfinissent la guerre moderne et renforcent la compétitivité technologique des grandes puissances
Les exosquelettes militaires incarnent une révolution dans l’augmentation physique des soldats modernes, en combinant technologie de pointe et innovation mécanique.
En France, le programme FELIN 1.3 (Fantassin à Équipements et Liaisons Intégrés) représente une avancée majeure dans la modernisation de l’infanterie française. Ce système, développé par Safran Electronics & Defense, vise à améliorer les capacités des soldats en matière d’observation et de combat. L’une des innovations phares de cette version est l’intégration du réseau d’information nouvelle génération (RIF-NG), qui permet une meilleure communication sur le champ de bataille. En effet, ce réseau, déjà utilisé sur les véhicules blindés VBCI (Véhicule Blindé de Combat d’Infanterie) et VAB (Véhicule de l’Avant Blindé), sera également déployé sur les futurs engins Jaguar et Griffon du programme Scorpion, garantissant une meilleure interopérabilité entre les opérations embarquées et débarquées de l’infanterie. La mobilité des soldats en terrain difficile est alors révolutionnée par l’intégration de l’IA.
Une modernisation de l’infanterie qui fait également l’objet d’avancées outre-Atlantique, où des projets similaires visent à renforcer les capacités des soldats sur le terrain, à l’instar de chez, Lockheed Martin, en collaboration avec le Centre de recherche, de développement et d’ingénierie des soldats de l’armée (NSRDEC) de Natick, qui travaille sur l’amélioration de l’exosquelette ONYX. Ce dispositif motorisé, conçu pour les membres inférieurs, est équipé d’une IA qui renforce la force et l’endurance des utilisateurs. Il réduit la charge sur le dos et les jambes en optimisant l’effort physique. Grâce à des actionneurs électromécaniques au niveau des genoux, à des capteurs sophistiqués et à un ordinateur IA, l’ONYX s’adapte aux mouvements de l’utilisateur, fournissant une assistance ciblée pour faciliter la montée de pentes raides et le transport de charges lourdes.
Les drones sont devenus stratégiques sur le champ de bataille, mais le nombre d’opérateurs et la disponibilité du spectre de radiocommunications restent des facteurs limitants pour un usage plus extensif. En Ukraine par exemple, il y a un opérateur derrière chaque drone. Pour s’affranchir de ces limites et obtenir des effets de saturation décisifs, il faut maximiser l’autonomie des drones en les opérant en essaim.
Pour répondre à cet enjeu, Thales, intègrent une IA dans des essaims de drones, également appelés « swarms », un concept clé dans la doctrine militaire de saturation. En opérant de manière synchronisée, ces essaims permettent une couverture étendue des zones d’opération. L’IA assurant la coordination entre chaque drone, leur permettent de se répartir les tâches en fonction des priorités du terrain, de communiquer en temps réel, et d’ajuster collectivement leurs actions face à une menace. Cela a pour but de réduire les risques de défaillance tout en maximisant l’impact global de l’essaim, une approche très prisée dans les doctrines de déni d’accès (A2/AD) ou pour saturer les défenses adverses. Au niveau international, la Chine développe aussi cette approche, l’entreprise Norinco (China North Industries Corporation), l’un des principaux acteurs de l’industrie de défense chinoise, a développé des essaims de drones comparable à son homologue européen.
Dans le même esprit, des scientifiques de l’Université du Zhejiang, en particulier son College of Control Science and Engineering, ont mis au point des drones de chasse autoguidés capables de se frayer un chemin dans une forêt de bambou (environnement complexe et non structuré) pour trouver leur cible sans avoir besoin de navigation par satellite pour trouver leur cible. Cette technologie, étudiée par Arthur Herman, directeur de l’initiative Alliance Quantique à l’Institut Hudson aux Etats-Unis, s’inspire des essaims d’oiseaux ou d’abeilles pour apprendre aux drones à adopter un comportement collaboratif en vol, ce qui renforce leur efficacité. Cette technologie suscite des inquiétudes, notamment en raison de la possibilité que ces drones puissent être armés de bombes, rendant le concept « d’essaim » particulièrement inquiétant. En effet, un seul drone est facile à neutraliser, mais des centaines attaquant en même temps, présentent un défi considérable, certains pouvant inévitablement passer à travers les défenses renforçant ainsi la résilience du système.
De plus, pour répondre à un enjeu de complémentarité, en Europe, Airbus Defence & Space, en collaboration avec Quantum Systems et l’éditeur de logiciels Spleenlab, ont exploré les avantages d’intégrer divers modèles de drones dans un essaim (Vector/Scorpion…) ; le but étant de combiner divers types de drones pour couvrir un éventail plus large de fonctionnalités et de scénarios opérationnels.
Une initiative nommée KITU-2, au sein de laquelle une IA spécifiquement développée pour celle-ci, a coordonné un groupe de drones de différents modèles, permettant une exécution fluide de missions dans des environnements complexes, notamment en situation de brouillage électronique. Les données collectées par les différents drones ont été fusionnées en temps réel pour offrir une vue d’ensemble cohérente de la situation, intégrée ensuite dans le système de gestion de combat Fortion Joint C2 d’Airbus. Cette capacité d’intégration renforce la précision et l’efficacité des décisions prises en cours de mission
Ainsi les résultats de KITU 2 seront cruciaux pour le développement de systèmes autonomes destinés non seulement au Système de combat aérien du futur (SCAF) mais aussi au Système principal de combat terrestre (MGCS), deux projets d’envergure menés dans le cadre de la coopération franco-allemande.
L’intelligence artificielle est devenue un pilier central des systèmes d’aide à la décision dans le domaine militaire, en raison de sa capacité à traiter et analyser des volumes massifs de données en temps réel. Les systèmes d’IA, comme ceux développés par Palantir Technologies, jouent un rôle crucial en collectant et en fusionnant des informations provenant de diverses sources telles que des capteurs, drones, satellites, et même des communications sur le terrain. Cela permet de fournir une vue d’ensemble extrêmement précise et actualisée la situation tactique en temps réel, un élément essentiel dans les environnements militaires complexes où le temps est un facteur critique. Un exemple frappant de cette application est le système Maven Smart System (MSS) de Palantir, conçu pour analyser en temps réel les images capturées par des drones afin de détecter automatiquement des cibles potentielles sur le champ de bataille. Ce système ne se limite pas à la simple reconnaissance visuelle : il propose également des scénarios d’attaque en fonction des menaces identifiées et des équipements ennemis détectés. En intégrant ces recommandations directement dans la chaîne de commandement via des interfaces comme des chatbots, ces systèmes permettent de transmettre des informations stratégiques de manière fluide, tout en offrant des options tactiques basées sur des calculs de probabilité et des modèles prédictifs.
Dans une simulation réalisée avec « l’Artificial Intelligence Platform (AIP) », l’IA détecte une présence ennemie et organise une reconnaissance par drone avant de proposer trois scénarios de riposte adaptés. Ce genre d’automatisation des tâches militaires, qui inclut même des suggestions telles que le brouillage des communications ennemies, permet aux forces armées de se concentrer sur l’exécution stratégique des missions.
La récente transformation de la Base Industrielle et Technologique de Défense (BITD) aux États-Unis, avec l’émergence d’acteurs tels qu’Anduril et Shield AI, a motivé l’apparition de nouvelles initiatives en Europe. En réponse à cette dynamique, la start-up française Comand AI, fondée en 2023, incarne une initiative souveraine pour moderniser et optimiser les capacités de commandement grâce à l’intelligence artificielle. Comand AI se positionne comme un acteur stratégique pour les forces armées françaises en automatisant la planification et la gestion des opérations en temps réel, comblant ainsi un vide technologique dans le paysage européen
L’introduction des technologies avancées, telles que les exosquelettes, drones autonomes et l’intelligence artificielle, a véritablement transformé les stratégies militaires modernes. Ces innovations offrent aux forces armées une meilleur interopérabilité, une capacité de réponse plus réactive et précise, tout en réduisant les erreurs humaines et en optimisant les prises de décision sur le terrain. Dans un monde de plus en plus interconnecté et globalisé, ces technologies ne sont pas seulement des leviers tactiques importants, mais aussi des facteurs clés pour maintenir la compétitivité des grandes puissances dans le développement d’armements de pointe. L’avenir de la guerre semble ainsi indissociable de ces outils émergents, qui redéfinissent à la fois la manière de se battre et celle de concevoir une stratégie militaire globale.
Enfin, ces nouvelles technologies poussent les nations à se doter de nouvelles armes capables de les contrer, engendrant un cercle vicieux où l’innovation en matière de défense stimule la création de nouvelles armes, conduisant à une escalade constante des capacités militaires.
Dans ce contexte-ci, l’entraînement contre les drones deviendra dans le futur plus nécessaire que l’entraînement au fusil.
Mathias Comandré et Mattéo Mevellec, analystes au sein de la Commission Innovation de Défense de l’INAS
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