Le rôle de la biotechnologie dans la construction du super-soldat

Ce qui relevait autrefois de la science-fiction est désormais à portée de main grâce aux avancées de la biotechnologie. Les armées du monde entier explorent aujourd’hui des technologies capables de renforcer les capacités humaines, transformant des soldats ordinaires en combattants augmentés. De la modification génétique à l’optimisation physique, la quête du super-soldat, autrefois un fantasme militaire, est en passe de devenir une réalité. Cette avancée suscite à la fois des espoirs et des inquiétudes, notamment face à l’accès inégal aux ressources, aux capacités de recherche et aux connaissances. Cette disparité soulève également la question d’une domination technologique et stratégique, exacerbant les écarts entre les capacités militaires des pays.

biotechnologie et super-soldat

L’humain et la biotechnologie, quelle symbiose ?

La biotechnologie est un domaine combinant la science et la technologie, qui utilise des organismes vivants ou des systèmes biologiques pour développer ou modifier des produits, améliorer des processus ou résoudre des problèmes spécifiques existants. Au niveau militaire, l’application des avancées biotechnologiques vise à améliorer les capacités des forces armées. Cela se traduit par l’amélioration des performances humaines et de la médecine de guerre, le développement de nouvelles armes biologiques ou la protection contre des menaces biologiques. L’OTAN quant à elle, définit la biotechnologie comme « la capacité de la technologie à stimuler et améliorer la pensée, la perception et la coordination humaines, ainsi qu’à influencer l’environnement physique et sociétal. Par le biais de la biophysique, de la biochimie ou du bioengineering, elle nous permet d’accroître notre efficacité, bien que celle-ci reste soumise à nos limites physiologiques. » La biotechnologie offre la possibilité d’optimiser les performances des soldats, de développer des équipements médicaux et de créer des systèmes de défense plus sophistiqués. De fait, la maîtrise de la biotechnologie est un enjeu crucial pour révolutionner les avancées militaires. Particulièrement dans un contexte où la rapidité, la précision et la résilience sont primordiales, le potentiel de la biotechnologie ne peut être sous-estimé. 

La symbiose entre l’humain et la biotechnologie se traduit autour de la construction du super-soldat. En effet, grâce aux innovations biotechnologiques, il est désormais possible d’envisager des soldats augmentés, capables de résister à des conditions extrêmes de combat. Par exemple, des substances biochimiques peuvent être utilisées pour accroître l’endurance physique, la rapidité des réflexes voire même la perception sensorielle, c’est notamment le cas du modafinil, utilisé depuis les années 1990 par les armées américaines et françaises durant des missions nécessitant une vigilance prolongée, notamment dans l’aviation et les opérations spéciales. Plus récemment, le façonnement d’un soldat augmenté se construit par l’amélioration génétique des soldats. Bien que cela soit encore au stade théorique, des recherches scientifiques explorent la possibilité de modifier génétiquement les soldats pour améliorer leur résistance à certaines conditions extrêmes. Par exemple, l’édition génétique CRISPR pourrait permettre de modifier l’ADN pour renforcer la tolérance à la douleur, augmenter la capacité d’endurance ou encore améliorer la résistance météorologique.

Des programmes de recherche visent également à développer des solutions permettant de réduire la fatigue, améliorer la concentration, ou accélérer la guérison des blessures. Tout d’abord chez la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency) qui a développé des prothèses neuro-contrôlées, comme le bras prothétique LUKE Arm, qui peut être contrôlé directement par le cerveau. Ces prothèses, qui utilisent des technologies avancées d’interface cerveau-machine, peuvent être contrôlées par les pensées, recréant ainsi une sensation proche de celle des membres biologiques. En plus de la mobilité, certaines recherches explorent la capacité à régénérer des tissus musculaires endommagés ou des membres perdus via des techniques de bio-ingénierie.

De plus, le développement d’exosquelettes biotechnologiques, capables de décupler la force ou de faciliter la mobilité, illustre également la volonté de créer un super-soldat. Les soldats équipés de ces dispositifs pourraient transporter des charges lourdes sur de longues distances ou réaliser des actions nécessitant une force physique démesurée. Les exosquelettes, développés par des entreprises comme Lockheed Martin avec leur système ONYX, utilisent des technologies biomécaniques pour améliorer la force, la mobilité et l’endurance des soldats. Ces dispositifs permettent à un soldat de porter des charges lourdes sur de longues distances avec une fatigue réduite, tout en augmentant la stabilité et la protection. Bien que majoritairement mécaniques, ces systèmes peuvent être optimisés grâce à des capteurs biologiques qui analysent en temps réel les besoins physiques du porteur et adaptent la performance de l’exosquelette.

Ces innovations, bien qu’encore à des stades de développement, pourraient transformer les unités de combat en véritables machines humaines optimisées pour l’efficacité sur le terrain et ainsi révolutionner l’art de la guerre.

Un état des lieux des grandes puissances biotechnologiques

À travers des innovations biotechnologiques, les grandes puissances cherchent à développer des « super-soldats », améliorer la résilience des troupes et créer des systèmes de défense biologiques. Ces avancées modifient non seulement la manière de mener la guerre, mais aussi l’équilibre des pouvoirs internationaux.
Leader incontesté, les États-Unis sont à la pointe de la biotechnologie militaire. À travers des agences comme la DARPA, l’armée américaine investit dans des projets innovants tels que les interfaces “cerveau-machine” (BCI) pour contrôler des armes par la pensée, des programmes de neurostimulation pour augmenter les capacités cognitives, ainsi que l’édition génétique pour améliorer la résilience des soldats. La DARPA finance également des projets de régénération tissulaire via la bio impression 3D pour soigner rapidement les blessures graves sur le terrain. En 2018, le budget alloué à la biotechnologie militaire américaine dépassait les 2 milliards de dollars. Ces investissements massifs placent les États-Unis en position dominante, leur permettant de concevoir des systèmes avancés afin de sophistiquer la création du super soldat.

Son rival chinois est de son côté en forte progression et se place comme acteur émergent dans le domaine de la biotechnologie militaire. Pékin perçoit la biotechnologie comme un levier stratégique non seulement pour améliorer les capacités humaines, mais aussi pour renforcer la résilience de ses forces armées. Le 14e plan quinquennal chinois (2021-2025) a identifié la biotechnologie comme une priorité de développement stratégique, soulignant l’ambition de la Chine de surpasser ses rivaux. Pour ce faire, le pays a investi massivement dans des projets d’édition génétique, notamment en ce qui concerne l’édition génomique par la technologie CRISPR-Cas9. L’université de Sun Yat-sen est l’un des centres de recherche chinois pionniers dans l’édition génétique. Les recherches se concentrent également sur la résistance accrue aux maladies et la prolongation des capacités physiques sur le champ de bataille.
Le Royaume-Uni quant à lui propose une analyse, à travers la matrice ci-dessous, du niveau de maturité technique et le degré de prise en compte des politiques pour les technologies d’augmentation humaine, en se basant sur les ressources actuelles. Il montre l’urgence de s’attaquer à ces domaines afin de protéger nos propres capacités tout en conservant un avantage concurrentiel, démontrant que la biotechnologie est un domaine stratégique pour les Etats.

Un avenir à réguler

La symbiose entre l’humain et la biotechnologie militaire n’en est qu’à ses débuts, mais elle ouvre un champ de possibilités sans précédent. Si cette alliance permet d’optimiser les capacités humaines et de mieux protéger les troupes, elle impose aussi de nouvelles responsabilités, tant sur le plan éthique que stratégique. Ainsi, il appartient aux décideurs politiques et aux experts de s’assurer que cette symbiose soit orientée vers des applications bénéfiques, tout en restant vigilants face aux dangers potentiels qu’elle pourrait engendrer. Le futur de la biotechnologie militaire est donc autant une question d’innovation que de régulation et d’éthique.

Zainab Muhammad, Vice-Présidente de la Commission Innovation de Défense de l’INAS

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