Les nouvelles technologies des sous-marins 3G sont-elles assez adaptées aux menaces actuelles ?

« Face aux bouleversements géostratégiques et à la multiplication des menaces susceptibles de porter atteinte aux intérêts majeurs de la France, préparer la Nation à la guerre de demain est un impératif. ». Cet avant-propos du Président de la Commission de Défense de l’Assemblée Nationale, Mr Jean-Michel Jacques, en mars 2025, démontre de la posture stratégique sur laquelle la France s’est positionnée depuis quelques années. Ce changement s’est accéléré à la suite de la Guerre en Ukraine, qui a démontré la réalité des enjeux opérationnels de la guerre de haute intensité pour les forces armées occidentales et principalement européennes, sur leur capacité militaire. La prise de conscience française de son incapacité à se défendre en l’état dans un conflit de haute intensité,à accentuer la nécessité de maintenir une capacité crédible de dissuasion  à long terme. La place du projet de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) de troisième génération dit SNLE 3G, suit directement cette logique et volonté politico-militaire dans un contexte marqué par le retour de la conflictualité dans les relations internationales. Pouvoir s’assurer d’une dissuasion nucléaire reste un objectif  premier pour l’hexagone, avec pour enjeux son autonomie stratégique, notamment dans la défense des intérêts vitaux de la nation mais aussi pour maintenir son rang et sa voix sur une scène mondiale qui conteste l’ordre international établi depuis la fin de la Guerre Froide. Corréler à un besoin de renouvellement et de performance technologique, les SNLE 3G veulent se placer comme une solution optimale en réponse aux menaces actuelles mais surtout de demain.

Des nouvelles menaces sur des théâtres en constante évolution

Comme le disait le Président français le 13 juillet 2025, « depuis 1945, la liberté n’a jamais été aussi menacée, et jamais aussi sérieusement […] nous vivons un retour au fait d’une menace nucléaire et une prolifération de conflits majeurs. » Ce constat révélateur des menaces actuelles pesant sur l’Hexagone fait notamment référence aux risques et menaces présentés dans la récente Revue de Défense Nationale (RDN) publiée à l’été 2025. Cette dernière identifie le risque d’une guerre ouverte en Europe d’ici 2030, notamment portée par la menace de la Russie, mais fait aussi référence aux tensions au Moyen-Orient et à la montée en puissance de la Chine. En parallèle, les menaces émergentes s’articulent autour du domaine cyber, spatial, économique, et électronique, ce qui accentuent les besoins des armées françaises, avec un focal sur la Marine, pour s’en protéger. 

Face à cette recrudescence des menaces, les politiques de défense françaises tentent de contenir la vulnérabilité de ses forces en achetant, produisant et si possible, plus rapidement. En plus de disposer d’une capacité de dissuasion nucléaire,  représentant environ 40 % des crédits de dépenses d’équipements de la Loi de Programmation Militaire (LPM), la France investit dans la recherche et le développement des nouvelles technologies. Cette dualité s’explique par le besoin de cohérence technique et technologique dans les programmes d’armement, s’appliquant  encore davantage au programme des SNLE 3G.

Ces nécessaires évolutions techniques et logistiques se retranscrivent dans les différents conflits et tensions actuels auxquels la France et plus globalement, l’Europe, font face. Aujourd’hui, et sur une majorité des mers et océans, la France et l’Europe doivent répondre à des menaces en constant développement et de plus en plus nombreuses, avec une multiplication des acteurs, de la Mer Rouge à la Baltique, des cyber attaques sous-marines aux « salami slicing » chinois (construction d’îles artificielles, militarisation progressive, pressions navale), les territoirs ultra-marins et continentaux deviennent de plus en plus vulnérables, tout comme les moyens actuels.

Pour la Marine Nationale, l’enjeu est donc de s’adapter et de se protéger continuellement de ces menaces croissantes, tout en anticipant celles du futur ; cela passe par des réévaluations des moyens en services actuels, de leur capacité à répondre sur le long terme à ces dernières,  à garantir sa capacité de projection et de dissuasion et à permettent l’adaptabilité des systèmes aux innovations à venir. Ces  objectifs et missions visent particulièrement les capacités sous-marines. Si nous reprenons le rapport d’information de la Commission de Défense de l’Assemblée Nationale (voir supra), le délégué général pour l’Armement, Mr Emmanuel Chiva, expliquait ces paramètres ;  « Une difficulté inhérente à notre métier est de concevoir des systèmes pour le temps long, avec des technologies que nous ne connaissons pas encore à bord. Il faut évidemment que l’architecture de nos systèmes leur permette de rester en première ligne et ne soit pas obsolète dès leur mise en service. Concernant la mise en service, des équipes travaillent déjà sur le démantèlement des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de troisième génération qui ne sont pas encore construits, car ce démantèlement doit être prévu dès le neuvage et la conception du système ».

Le sous-marin représente, à lui seul, une grande partie de la capacité de projection et est le premier vecteur de dissuasion de l’Hexagone. Atout stratégique majeur, pouvant se rendre invisible aux yeux et oreilles des autres infrastructures en mer, les sous-marins français sont un exemple type des progrès techniques, et plus généralement d’une prouesse technologique, industrielle et humaine développée par la Marine nationale, la DGA et Naval Group. Néanmoins, les forces navales ennemies et alliés développent, comme la France, des moyens de détection avancée, des capacités de défense et offensives nouvelles ainsi que des outils améliorant son indétectabilité. L’enjeu devient donc d’à la fois se prémunir de ces outils, mais également de préserver sa discrétion en mer tout en s’armant de nouvelles technologies.  Dès le début des années 2010, le ministre de la Défense français, Hervé Morin caractérisait cette dynamique ; « les sous-marins font moins de bruit qu’une crevette et ne peuvent pas émettre, parce que s’ils émettent, ils deviennent détectables ». Cette déclaration succédait à une collision entre deux SNLE français et britannique, démontrant de l’efficacité sous-marine mais également des brèches dans les capacités de détection. 

Les sous-marins de troisième génération, une promesse de prouesse technique

Si le SNLE 3G s’inscrit dans la continuité de son prédécesseur en termes de dimension, d’apparences extérieures, et de capacité d’emport de missile, il n’en reste pas moins différent et plus technique. En effet, selon les communications de Naval Group, ces sous-marins devraient être dotés d’une capacité de détection étendue, avec des « sensors » au meilleur standard technologique, grâce à une meilleure hydrodynamique et à une manœuvrabilité augmentée. Les SNLE 3G seront également équipés d’un système d’armes et d’un système de combat « particulièrement performant permettant d’assurer ses missions de dissuasion jusqu’à la fin des années 2080 ». Ces équipements doivent répondre aux ambitions d’assurer une furtivité efficace et s’inscrivant dans le long terme. Initialement, le programme vise à fournir à la Marine française une nouvelle flotte de quatre sous-marins lanceurs de missiles balistiques à propulsion nucléaire (SSBN – SNLE), demandant ainsi un savoir-faire et une adaptation technologique de taille.

D’un point de vue technique, le SNLE 3G mesure 150 m de long, pèse 15 000 tonnes lorsqu’il est submergé et a une capacité d’environ 100 personnes. Il dispose d’une structure de carénage (enveloppe externe, souvent profilée, qui sert à réduire la traînée hydrodynamique et à protéger des équipements internes) composite unique, connue sous le nom de cuspe de voile, reliant la voile, la coque du sous-marin et un système de propulsion à jet de pompe. Sachant que les sous-marins sont conçus pour assurer les plus hauts niveaux de sûreté et de sécurité nucléaires, les SNLE 3G seront appareillés d’une suite complète de sonars, comprenant des réseaux de flanc avancés, des sonars montés sur la proue, des capteurs à haut rendement, un réseau linéaire remorqué utilisant la technologie optique, des réseaux d’interception, des sondeurs d’écho mais également des téléphones sous-marins (qui ont vocation à améliorer les capacités de détection du sous-marin).

La suite sonar intégrera également le système de traitement de données Analyse, Localisation, Identification, Classification Intégrés et Alertes (ALICIA) soutenu par une intelligence artificielle robuste et une analyse de mégadonnées. Le système ALICIA est ainsi conçu pour gérer et analyser les données afin de fournir une analyse complète du paysage acoustique sous-marin. Fourni par Thalès, les SNLE comprendront donc des sonars montés sur une étrave (forme la proue), un réseau linéaire remorqué basé sur la technologie optique (ALRO – long câble souple équipé de capteurs acoustiques par signaux lumineux pour écouter les sous-marins), et tous les autres équipements qui constituent la suite de sonar : tableaux d’interception, écho-sondeurs qui servent, à l’aide signal acoustique , ondes sonores, de mesurer la profondeur de l’eau ou à détecter des objets sous la surface, ou encore des téléphones sous-marins. La taille des réseaux et les bandes de fréquences qu’ils utilisent (Ultra Low Band) sont, par extension, censés offrir des performances inégalées en termes de précision de détection. Cette nouvelle suite de sonar sera déployée progressivement, les premiers blocs de construction technologiques et versions de système seront installés sur les SNLE 2G à partir de 2025, et sur les SNLE 3G à partir de 2035.

Du côté de leur armement, les navires embarqueront une capacité de 16 missiles balistiques M51, en parallèle de quatres tubes pour torpilles et des possibles capacités de missiles antinavires et de croisière.

Il convient néanmoins de noter que ces sous-marins ont vocation à être en service, et donc par extension, adaptable d’ici 2080 selon un contexte géopolitique, technologique et opérationnel évolutif. Cet attendu suscite quelques questionnements vis-à-vis du coût, du besoin en ressources humaines, et des avancés technologiques nécessaires à anticiper, malgré les dispositions prises pour permettre aux SNLE d’accueillir dès que possible et tout au long de son service, les évolutions technologiques.

Quelle capacité offensive pour ces sous-marins ?

Traditionnellement, les SNLE sont équipés de missiles mer-sol de croisière produits par Ariane Group tels que les M45 (1997-2016) ou les M51 (actuellement en service). Déclinés en plusieurs versions, les M51 comprennent trois versions, dont une en conception. En effet, les M51.1, M51.2,  et M51.3, ayant une portée de 8.000km, entre 8 et 9.000 et plus de 9.000km, sont équipés d’ogives nucléaires, cœur  de la dissuasion française. A l’inverse du M51.1, les deux versions suivantes sont dotées de tête nucléaire océanique (TNO) et non de tête nucléaire (TN75). Cette modernisation progressive des missiles mer-sol s’explique par le besoin d’améliorer la précision et la portée des systèmes existants. . C’est dans ce contexte, que la dernière et troisième version des missiles M51 a été testée, au cours d’un tir de qualification en 2023 depuis un SNLE, permettant d’authentifier sa signature.

Néanmoins, malgré les évolutions techniques et capacitaires de ce programme de missile, le précédent ministre des Armées, Sébastien Lecornu, a annoncé en septembre 2025, le lancement de la réalisation du MSBS M51.4. Cette annonce s’inscrit dans un contexte politico-militaire et technologique alarmant, à la suite d’un environnement sous-marin instable, du développement de capacités de nouvelle génération par des puissances ennemis mais également de besoin opérationnel exigeant. Cette stratégie avait déjà été dessinée par le président exécutif d’Ariane Group, A.H. Roussel lors d’une audition à l’Assemblée Nationale : « pour anticiper l’évolution des menaces, répondre aux objectifs politiques et opérationnels, donc contribuer en permanence à la crédibilité de la dissuasion, il a été décidé dans les années 2000 de procéder au développement incrémental du M51. Ainsi, chaque évolution technologique du système d’armes est dotée de performances qui anticipent l’évolution des défenses à horizon de vingt ou trente ans ». Les études portant sur la quatrième version du M51, ont ainsi permis d’analyser, de caractériser et de définir les besoins des capacités navales pour 2035, soit quand le premier des quatre sous-marin nucléaires lanceurs d’engins de 3e génération sera admis au service. Cette concordance industrielle et technologique prouve la nécessaire incrémentation de technologie toujours plus « avant-gardiste » et leur parfaite implantation sur les systèmes actifs en mer, tels que les sous-marins.

 

L’anticipation stratégique que représente à la fois les SNLE-3G, les missiles M51.4 et les équipements de détection sous-marine, souligne l’état d’esprit des dirigeants, experts, et ingénieurs en charge du développement capacitaire. Cet état d’esprit reflète donc le caractère prospectif d’une menace toujours grandissante à laquelle les forces de dissuasion sous-marines de l’Hexagone devront pouvoir répondre et contrer à horizon 2040. 

Axelle Bories-Azeau, Vice-présidente de la Commission de défense Navale de l’INAS

L’INAS a pour mission de contribuer au débat public sur les questions stratégiques. Ses publications reflètent uniquement les opinions de leurs auteurs et ne constituent en aucune manière une position officielle de l’organisme.

Pour aller plus loin :

 

  • Laurent Lagneau, (05/02/2018), « Dissuasion : Le renouvellement des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins se fera « sous contrainte de coût », Opex360

https://www.opex360.com/2018/02/05/dissuasion-renouvellement-marins-nucleaires-lanceurs-dengins-se-fera-contrainte-de-cout/

  • Instruction Ministérielle 1618 sur le déroulement des opérations d’armement (15/02/2019)