GPU, data centers et souveraineté : les nouveaux arsenaux de la guerre numérique

Le centre de gravité de la compétition s’est déplacé vers le domaine du numérique. Dans ce contexte, l’intelligence artificielle (IA) appliquée à la défense est devenue un levier stratégique majeur, au même titre que les capacités militaires classiques. En effet, la puissance militaire de demain repose de plus en plus sur une triple souveraineté numérique : souveraineté technologique (maîtrise des puces et des logiciels d’IA), souveraineté infrastructurelle (contrôle des centres de données et supercalculateurs) et souveraineté opérationnelle (développement de scénarios d’emploi militaire adaptés). Les États capables d’héberger et d’exploiter une IA avancée sur leur sol disposent d’un avantage stratégique croissant. À l’heure où les conflits contemporains – qu’il s’agisse du champ de bataille ukrainien, des attaques dans le cyberespace ou de la guerre électronique satellitaire – laissent entrevoir l’essor d’une véritable « guerre par algorithme », garantir sa souveraineté numérique en matière de défense est devenu crucial.

Parallèlement, la maîtrise de l’IA de défense n’est pas qu’une question de « hard power » : c’est aussi un instrument de soft power technologique. Les nations qui se posent en leaders de l’IA attirent à elles talents, investissements et partenariats, et sont en mesure d’influencer les normes internationales et les alliances stratégiques. La capacité à développer une IA militaire souveraine – symbolisée par l’accès autonome à la puissance de calcul de pointe – s’affirme ainsi comme un nouveau pilier de la puissance nationale, au même titre que l’était autrefois la possession de porte-avions ou de la dissuasion nucléaire. Les GPU (processeurs graphiques) de dernière génération, indispensables à l’entraînement des modèles d’IA, en viennent à être considérés comme « les nouveaux porte-avions » de notre époque numérique, tant leur possession conditionne l’accès à la supériorité technologique et opérationnelle.

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Souveraineté numérique et puissance militaire à l’ère de l’IA ?

Assurer sa souveraineté numérique en matière de défense implique de contrôler l’ensemble de la chaîne de valeur de l’intelligence artificielle, des composants matériels jusqu’aux usages militaires. La souveraineté technologique suppose de disposer des microprocesseurs et accélérateurs de calcul (GPU, ASIC d’IA, etc.) les plus avancés, ainsi que des frameworks logiciels et algorithmes de pointe – autant d’éléments aujourd’hui dominés par quelques acteurs étrangers (américains principalement, chinois en embuscade). La souveraineté infrastructurelle renvoie à la capacité de déployer sur le sol national des centres de données massifs et des supercalculateurs pour l’entraînement des modèles d’IA, sans dépendre exclusivement de fournisseurs de cloud publics étrangers. Enfin, la souveraineté opérationnelle concerne l’aptitude à concevoir et maîtriser les concepts d’emploi militaires intégrant l’IA (doctrines, règles d’engagement, entraînement des forces), de façon à utiliser efficacement ces nouvelles technologies sur le terrain. Seule la conjugaison de ces trois dimensions permet de réellement parler d’IA de défense souveraine.

Dans le monde actuel, l’accès à la puissance de calcul devient un facteur discriminant de la puissance militaire. Quelques chiffres illustrent ce basculement : en 2023, plus de 70 % de la capacité mondiale de calcul dédiée à l’IA était concentrée aux États-Unis, grâce à l’avance de leurs géants du numérique et à leurs investissements publics massifs. À titre de comparaison, la France ne dispose que d’une poignée de centres de données capables d’héberger l’entraînement de modèles de pointe comme les LLM (Large Language Models). La Chine de son côté produit près de 60 % des cartes graphiques mondiales et investit lourdement pour atteindre l’autonomie, tandis que l’armée américaine a annoncé consacrer 1 milliard de dollars par an à l’IA de défense jusqu’en 2030. Dans cette course à la puissance de calcul, les data centers truffés de GPU de nouvelle génération sont devenus aussi stratégiques que les arsenaux classiques. Un seul de ces GPU haut de gamme (par exemple le Nvidia H100) coûte aujourd’hui plus de 30 000 € l’unité, soulignant le niveau d’investissement requis pour constituer des « flottes » de processeurs comparables à des flottes navales.

Ne pas maîtriser ces actifs critiques expose à une perte de souveraineté. Dépendre de fournisseurs étrangers pour les puces, les services cloud ou les outils d’IA avancés crée une vulnérabilité stratégique : en cas de crise internationale, d’embargo technologique ou de désaccord politique, l’accès à ces ressources pourrait être restreint ou coupé. Or, la France et l’Europe accusent sur ce plan un retard préoccupant. Paris reste tributaire de sociétés comme Nvidia (États-Unis) pour les GPU, AMD (États-Unis) pour les CPU haute performance, ou encore des hyperscalers américains (Google Cloud, Amazon Web Services, Microsoft Azure) pour une large part de ses besoins cloud. La relance d’une industrie microélectronique européenne via le Chips Act européen vise certes à réduire cette dépendance en encourageant la fabrication locale de puces critiques. De même, des initiatives de « cloud souverain » français et européen cherchent à proposer des alternatives locales aux services des GAFAM. Cependant, ces efforts mettront du temps à porter leurs fruits, et l’écart continue de se creuser avec les États-Unis et la Chine qui avancent à marche forcée.

Au-delà de l’aspect matériel, la souveraineté numérique inclut aussi la capacité à fixer ses propres règles et standards quant à l’usage de l’IA de défense. Cela recoupe le champ du soft power : un pays capable de définir un cadre éthique et légal pour l’IA militaire, et de le promouvoir à l’international, renforcera son influence normative. L’Europe, par exemple, a entrepris de légiférer sur l’IA civile (réglementation en cours d’adoption) et pourrait jouer un rôle moteur pour encadrer l’IA dans les armées de manière conforme au droit humanitaire et aux valeurs démocratiques. Ce faisant, elle utiliserait son « pouvoir doux » pour éviter une course à l’armement algorithmique non maîtrisée. À l’inverse, si l’Europe devait importer purement et simplement des systèmes d’IA « black box » conçus à l’étranger, elle en subirait l’influence sans pouvoir y imprimer ses principes – un recul en termes de souveraineté autant que de soft power. On le voit, souveraineté technologique et influence vont de pair : maîtriser l’IA de défense permet d’être un acteur qui compte dans les enceintes internationales, de l’OTAN (qui a adopté une stratégie IA dès 2021) jusqu’aux instances onusiennes traitant de la régulation des armes autonomes.

Le nouveau catalyseur de puissance extérieure

La course à l’IA s’apparente non seulement à une quête de puissance militaire, mais aussi à une compétition pour le leadership technologique mondial – laquelle comporte une forte dimension de soft power. Être pionnier dans l’IA, c’est acquérir un prestige scientifique et industriel qui rejaillit sur l’ensemble de la nation, et c’est attirer à soi partenaires et alliés. À titre d’exemple, la France cherche à se positionner comme pôle d’excellence en Europe sur l’IA de défense, afin de renforcer son rayonnement et d’attirer des coopérations internationales. Paris a ainsi organisé début 2025 un sommet mondial sur l’IA, profitant de cette tribune pour annoncer en partenariat avec Abu Dhabi la construction en France d’un campus de l’IA doté d’un data center géant (1 GW de capacité) – un investissement colossal de 30 à 50 milliards d’euros porté par un consortium franco-émirati. Une telle initiative, rendue possible par le rapprochement stratégique avec les Émirats arabes unis, vise non seulement à doter la France d’une infrastructure de calcul hors pair, mais également à la placer sur la carte mondiale de l’IA. La présence du président Emmanuel Macron aux côtés du président émirati Mohammed ben Zayed lors de la signature de cet accord souligne l’enjeu diplomatique : en s’alliant avec une puissance montante du numérique pour combler son retard, la France espère gagner en influence tout en renforçant sa souveraineté.

Plus largement, disposer de capacités d’IA souveraines peut permettre de proposer à d’autres pays des services, des formations ou des outils stratégiques, ce qui constitue un puissant vecteur de soft power. Par exemple, un État doté de supercalculateurs d’IA pourrait accueillir des programmes internationaux de recherche ou d’entraînement d’algorithmes militaires, renforçant ainsi son réseau d’influence. De même, un pays en avance sur l’IA de défense pourra fournir à ses alliés des systèmes d’analyse renseignement automatisés, des logiciels de cybersécurité basés sur l’IA, voire des plateformes d’entraînement virtuel pour forces armées – autant de contributions qui renforcent son rôle de partenaire incontournable. À l’ère du numérique, la puissance se mesure aussi à la capacité d’un État à imposer ses normes technologiques et à exporter ses outils. Ainsi, les États-Unis ont construit une part de leur soft power sur l’adoption mondiale de leurs technologies (Internet, GPS, géants du cloud…), ce qui leur confère une forme d’omniprésence. Dans le domaine de l’IA militaire, on peut anticiper un schéma similaire : les pays qui maîtriseront des écosystèmes complets (puces, clouds, logiciels et doctrines) pourront en faire bénéficier leurs partenaires, orientant de facto le sens de la coopération stratégique en leur faveur.

Enfin, intégrer la dimension numérique dans les critères de puissance permet de mieux appréhender ce basculement. Il a été proposé d’ajouter aux classements géostratégiques traditionnels des indicateurs de “puissance numérique” – tels que le nombre de GPU disponibles nationalement, la capacité d’entraînement annuelle en milliards de milliards d’opérations (FLOPS), ou le degré d’autonomie technologique atteint. De tels indicateurs viendraient compléter les mesures classiques (PIB, dépenses militaires, effectifs, etc.) pour refléter l’influence réelle des nations à l’ère de l’information. Cette approche a une portée de soft power : faire reconnaître internationalement ces critères, c’est entériner que la puissance algorithmique est un élément central du statut des grandes puissances. Les pays pionniers en la matière, en poussant ce type d’initiatives, façonnent le discours et incitent les autres à se positionner par rapport à eux sur le terrain de l’IA.

Vers la « guerre par algorithme »

Sur le terrain opérationnel, l’intelligence artificielle s’immisce dans un large spectre d’applications militaires, au point que l’on voit poindre un nouveau paradigme de « guerre par algorithme ». Concrètement, l’IA est désormais mise à profit dans des domaines clés tels que le renseignement (analyse automatisée de masses de données, reconnaissance d’images satellites, surveillance vidéo intelligente), le ciblage et la balistique (identification de cibles prioritaires, guidage de munitions), la guerre électronique (détection d’anomalies spectrales, brouillage adaptatif), l’autonomisation des systèmes (drones aériens et sous-marins capables de naviguer et d’interagir en essaim de façon autonome, véhicules terrestres sans pilote pour la logistique ou la reconnaissance), ou encore la cybersécurité (IA de défense détectant les intrusions et attaques complexes en temps réel). À plus long terme, l’IA promet de révolutionner la conduite des opérations via des systèmes d’aide à la décision stratégiques, capables de simuler des scénarios tactiques complexes, d’optimiser la planification logistique ou de coordonner des forces hétérogènes en combat collaboratif.

Les récents conflits ont illustré l’importance croissante de ces technologies. Par exemple, au Haut-Karabakh et en Ukraine, le déploiement de drones et de munitions téléopérées a montré comment l’autonomie et l’IA pouvaient compenser l’infériorité numérique traditionnelle : des essaims de drones guidés par algorithmes ont neutralisé des blindés bien plus coûteux, inaugurant une ère de combat asymétrique amplifié par l’IA. De même, dans la guerre de l’information en ligne ou la cyberguerre, des algorithmes d’apprentissage automatique scrutent en continu les trafics réseau ou les réseaux sociaux pour y déceler des attaques ou des opérations d’influence hostiles, réagissant à une vitesse hors de portée de l’humain. Ces exemples concrets annoncent un futur proche où la supériorité sur le champ de bataille dépendra largement de la qualité des modèles d’IA entraînés et de la rapidité de leur déploiement.

Cependant, pour atteindre un tel niveau de performance, il faut disposer en amont d’énormes volumes de données et de puissance de calcul. En effet, entraîner des réseaux de neurones sophistiqués dans les domaines du combat aérien, de la reconnaissance d’objets militaires ou de la cartographie prédictive requiert des capacités de calcul intensif. Les Large Language Models ou autres IA génératives dont on entrevoit l’emploi pour le renseignement ou la guerre cognitive nécessitent des supercalculateurs dédiés. Par exemple, un modèle de type GPT militaire, entrainé sur des données multilingues d’interceptions radio et d’images de drones, mobiliserait des milliers de GPU pendant des semaines. Sans surprise, cette exigence renvoie aux questions de souveraineté infrastructurelle évoquées plus haut : un pays qui ne peut pas réaliser ces entraînements chez lui devra les sous-traiter ou s’en passer, ce qui crée une dépendance critique.

Conscientes de ces enjeux, les grandes puissances adaptent leur organisation et leur doctrine. L’OTAN a reconnu dès 2021 que l’IA jouerait un rôle central dans la supériorité opérationnelle future, et elle encourage ses membres à investir dans ces technologies. Aux États-Unis, le Département de la Défense a publié des directives (telles que le fameux directive DoD 3000.09 sur les systèmes létaux autonomes) pour encadrer l’usage de l’IA et de l’autonomie dans les systèmes d’armes, tout en finançant massivement la R&D via la DARPA ou le programme JAIC (Joint Artificial Intelligence Center). La Chine, de son côté, poursuit une stratégie civile-militaire intégrée : ses entreprises phares de l’IA (Baidu, Tencent, iFlytek, etc.) collaborent étroitement avec l’Armée populaire de libération pour développer des solutions duales, tandis que Pékin investit dans des méga-centres de calcul (certains dépassant plusieurs exaflops) visant l’entraînement d’IA de défense nationales. La Russie, malgré des ressources plus limitées, mise sur ses compétences en guerre électronique et sur la robotique militaire (chars autonomes, drones sous-marins) en intégrant progressivement l’IA dans ses équipements. On le voit, une nouvelle course technologique est lancée : après la course aux armements nucléaires au XX^e siècle, se profile celle aux armements algorithmiques au XXIe.

Faiblesses et défis pour la souveraineté numérique de défense française

Malgré une prise de conscience progressive, la France fait face à plusieurs défis persistants qui l’empêchent encore de déployer une IA de défense pleinement souveraine. On peut identifier quatre principaux problèmes :

Dépendance technologique aux fournisseurs étrangers : La France et l’Europe ne maîtrisent pas aujourd’hui les technologies critiques de l’IA. Pour les microprocesseurs et GPU, elles dépendent quasi entièrement de l’importation (Nvidia et AMD pour les puces de calcul, Intel pour certains processeurs, TSMC pour la fonderie, etc.). Côté logiciels, les frameworks de machine learning les plus utilisés (TensorFlow, PyTorch) viennent des États-Unis, tout comme les services cloud dominants (Google, Amazon, Microsoft). Cette dépendance s’étend aux données : une partie des données utiles à l’entraînement des IA militaires (par exemple images satellitaires haute résolution, jeux de données d’imagerie nocturne ou infrarouge, etc.) provient de fournisseurs étrangers. Cette situation crée un risque de vulnérabilité stratégique majeur. Par exemple, en cas de tensions internationales, un contrôle d’exportation strict pourrait empêcher la France d’acquérir les dernières générations de puces d’IA (comme les États-Unis l’ont fait vis-à-vis de la Chine). De même, l’accès aux services cloud étrangers pourrait être restreint ou espionné, compromettant la confidentialité de programmes de défense sensibles.

Capacité de calcul insuffisante : Les infrastructures nationales actuelles sont sous-dimensionnées pour répondre aux besoins d’entraînement et de déploiement de l’IA militaire. La France possède certes quelques supercalculateurs de rang mondial (par exemple le Joliot-Curie du CEA ou le Jean Zay du CNRS pour la recherche civile), mais ceux-ci sont saturés par les demandes et ne sont pas spécialement dédiés aux applications de défense. On estime qu’à l’heure actuelle, moins de dix data centers en France seraient capables d’héberger l’entraînement d’un modèle d’IA de très grande taille. Cela limite drastiquement la capacité des armées à innover et expérimenter dans le domaine de l’IA. Par contraste, les géants américains comme Google ou Microsoft disposent de centres de données totalisant chacun des dizaines (voire centaines) de gigawatts de puissance de calcul à travers le monde. La pénurie de puissance de calcul en France se traduit concrètement par des temps d’entraînement plus longs, des arbitrages douloureux entre projets, et parfois l’impossibilité de mener certaines expérimentations pourtant critiques. Ce retard infrastructurel participe d’un cercle vicieux : il dissuade les talents de rester (les spécialistes de l’IA préférant souvent rejoindre des laboratoires mieux dotés en calcul) et il freine l’effort d’innovation des start-ups ou des unités de recherche nationales.

Fragmentation industrielle et difficulté à faire émerger une filière : Le tissu d’entreprises spécialisées en IA de défense en France demeure embryonnaire et fragile. Certes, on compte des start-ups prometteuses dans des niches (vision par ordinateur appliquée au renseignement, cybersécurité par IA, robotique militaire, etc.), mais beaucoup peinent à passer à l’échelle ou à survivre face au manque de commandes publiques et de financements soutenus. Les grands maîtres d’œuvre de la BITD (Dassault, Thales, Airbus, KNDS…) intègrent progressivement des briques d’IA dans leurs systèmes, mais il n’existe pas encore de champion national dédié exclusivement à l’IA de défense capable de rivaliser avec les firmes américaines ou chinoises. On observe également un cloisonnement entre le secteur civil de l’IA et les besoins militaires : les jeunes pousses françaises de l’IA sont avant tout tournées vers les marchés commerciaux (santé, finance, marketing, etc.) et interagissent peu avec la Défense, faute de cadres contractuels adaptés ou d’incitations. Cette fragmentation nuit à la souveraineté industrielle : sans base industrielle solide, la France devra importer non seulement la technologie, mais aussi les compétences et services associés, ce qui la met en position de dépendance.

Manque de vision stratégique et de doctrine d’emploi : Enfin, la France souffre d’une relative indécision doctrinale quant à l’IA de défense. Si des documents d’orientation existent (stratégie d’IA du ministère des Armées, réflexions éthiques du comité d’éthique de la défense, etc.), il manque une doctrine opérationnelle claire sur les usages de l’IA sur le terrain. Quel degré d’autonomie déléguer à une arme létale ? Quelles tâches critiques confier (ou non) à une IA en situation de combat ? Comment intégrer un « coéquipier artificiel » aux côtés du combattant ? Autant de questions encore débattues sans ligne directrice ferme. Cette prudence, compréhensible sur le plan éthique, peut néanmoins freiner les investissements et expérimentations : l’industrie et même les unités militaires hésitent à s’engager pleinement tant que le « feu vert » doctrinal n’est pas clair. Par contraste, des pays comme les États-Unis ou Israël avancent plus rapidement, portés par une culture d’innovation tactique qui autorise l’initiative locale et l’expérimentation, quitte à ajuster les doctrines a posteriori. Pour la France, l’absence de doctrine se double d’un manque de coordination centralisée : les projets d’IA militaire sont dispersés entre la DGA, l’Agence Innovation Défense, les états-majors, sans toujours de pilote unique, ce qui peut mener à des doublons ou des lacunes.

Consciente de ces défis, elle a commencé à agir (par exemple via le plan France 2030 qui consacre 1,5 milliard d’euros à l’IA dont une partie fléchée défense, ou via des appels à projets ciblés de l’Agence Innovation Défense). Néanmoins, l’ampleur de la tâche requiert des mesures plus structurelles et ambitieuses pour garantir une véritable souveraineté numérique.

À ce titre, il est instructif de se pencher sur les démarches engagées par certains États du Golfe, en particulier les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite, qui affichent des ambitions décomplexées pour s’imposer dans la course à l’IA de défense.

Le pari technologique des Émirats arabes unis

Longtemps perçus comme des importateurs de sécurité dépendant de partenaires occidentaux, les Émirats arabes unis (EAU) se sont lancés ces dernières années dans une stratégie audacieuse visant à devenir l’un des pôles mondiaux de l’intelligence artificielle. Avec une population modeste mais des ressources financières considérables, ce pays a fait le choix de l’investissements massif dans les technologies émergentes pour assurer son avenir après l’ère du pétrole – et l’IA est au cœur de cette vision. Abu Dhabi a notamment créé dès 2017 un poste de ministre de l’Intelligence Artificielle, une première mondiale symbolisant la priorité donnée à ce domaine. En 2019, les EAU ont dévoilé une Stratégie nationale d’IA 2031, couvrant de multiples secteurs (gouvernement, santé, transport, mais aussi sécurité et défense) et visant à faire du pays un leader de l’IA à l’horizon 2030. Sur le plan académique, ils ont fondé l’Université Mohamed bin Zayed d’intelligence artificielle (MBZUAI) pour attirer et former les meilleurs talents internationaux de l’IA, avec là encore l’idée de rayonner au-delà de la région.

Sur le volet militaire et sécuritaire, les Émirats ont entrepris de développer une base industrielle locale orientée haute technologie. Le conglomérat public EDGE Group, créé en 2019, est devenu la pièce maîtresse de cette stratégie : il regroupe plus de 25 entreprises spécialisées dans la défense et la sécurité, couvrant notamment les drones, la robotique, la guerre électronique et la cybersécurité. EDGE intègre résolument l’IA dans ses produits : par exemple, il a dévoilé en 2021 des drones autonomes capables d’opérer en essaim et d’effectuer des missions d’attaque de manière coordonnée grâce à l’IA. Le groupe travaille également à des systèmes de défense anti-drones utilisant l’apprentissage automatique pour détecter et neutraliser des menaces aériennes de petite taille. Plus récemment, EDGE s’est associé avec des partenaires internationaux (tels que l’entreprise singapourienne ST Engineering) pour développer des navires de guerre autonomes dotés d’IA. Cette politique volontariste illustre comment les EAU cherchent à intégrer l’IA dans l’ensemble de leur arsenal, tout en se dotant de capacités de production locales afin de réduire leur dépendance aux fournisseurs étrangers. Doctrine d’emploi et industrie avancent donc de pair : l’IA n’est plus vue comme un simple outil, mais comme un multiplicateur de force intégré d’emblée dans les plans de modernisation des forces émiriennes.

L’autre pilier de la stratégie émiratie réside dans la maîtrise des infrastructures de calcul. Conscients que la possession des algorithmes les plus sophistiqués ne vaut rien sans la puissance de calcul correspondante, les EAU ont investi dans des supercalculateurs de classe mondiale. Le groupe G42, basé à Abu Dhabi, illustre cette ambition : cette société, soutenue par des membres de la famille royale émiratie, s’est imposée en quelques années comme un acteur majeur du cloud, du big data et de l’IA dans la région. G42 a construit l’un des supercalculateurs les plus puissants du Moyen-Orient (nommé Artemis), et développe des services de cloud dit « souverain » pour accueillir des données sensibles au niveau local. Surtout, en 2023-2024, les Émirats ont négocié avec Washington un accord stratégique leur permettant d’accéder aux composants américains les plus avancés. Jusque-là, les restrictions américaines (motivées par la crainte de transferts de technologies vers la Chine) limitaient l’accès d’Abu Dhabi aux GPU Nvidia de dernière génération. Or, en mai 2025, à la faveur d’un rapprochement diplomatique, Washington a autorisé les EAU à importer chaque année jusqu’à 500 000 puces Nvidia de pointe pour équiper leurs futurs centres de données. Ce feu vert s’est concrétisé par l’annonce conjointe de la création aux Émirats du plus grand campus d’IA au monde en dehors des États-Unis, avec une puissance de calcul prévue de 5 gigawatts (GW) dédiée à l’intelligence artificielle. Le projet, conduit par G42 en partenariat étroit avec des entreprises américaines, prévoit une première phase de 1 GW déjà en construction à Abu Dhabi. C’est une infrastructure hors normes : à titre de comparaison, 5 GW de capacité représentent l’équivalent de plusieurs dizaines de centres de calcul “classiques” et pourraient héberger des centaines de milliers de GPU en parallèle. Une telle empreinte place les Émirats dans la cour des très grands, aux côtés des États-Unis et de la Chine, en termes de capacité de calcul dédiée à l’IA.

Ce campus d’AI émirati n’est pas qu’un investissement technologique, c’est aussi un pari géopolitique. D’une part, il consacre l’alignement stratégique d’Abu Dhabi avec Washington : les Émirats ont dû en échange renforcer leurs garanties de non-prolifération technologique (pour rassurer les Américains qu’aucune puce n’ira en Chine) et accepter que des entreprises américaines opèrent les data centers sur place. D’autre part, il offre aux États-Unis un pied-à-terre de choix au Moyen-Orient pour leurs propres besoins en cloud : selon les termes de l’accord, ce campus servira de plateforme régionale d’où les hyperscalers américains pourront déployer des services cloud à faible latence couvrant la moitié de la population mondiale. Autrement dit, les Émirats se positionnent comme un hub incontournable dans le réseau mondial de l’IA, une place qui leur confère prestige et influence. Le soft power émirati se renforce en parallèle : Abu Dhabi se présente désormais comme un pôle d’innovation international ouvert aux partenariats (notamment avec l’Europe, comme le montre l’investissement en France évoqué plus haut), et comme un champion du développement durable de l’IA (le campus sera alimenté en partie par l’énergie solaire et nucléaire pour garantir une alimentation stable aux supercalculateurs).

En somme, la stratégie émiratie en matière d’IA de défense combine ambition industrielle, accumulation de capacités techniques et diplomatie active. Les EAU ont saisi que la puissance numérique pouvait compenser leur petite taille militaire et en faire un acteur de premier plan du XXI^e siècle. Ce faisant, ils imposent un nouveau modèle de « puissance virtuelle » où l’infrastructure digitale devient un outil d’influence au même titre que les bases militaires.

L’offensive numérique de l’Arabie saoudite

L’Arabie saoudite, autre poids lourd du Golfe, poursuit une trajectoire similaire d’investissement massif dans l’IA, quoique avec ses propres modalités. Le royaume de Mohammed ben Salmane (MBS) a inscrit l’IA comme un pilier de son plan de transformation Vision 2030, qui vise à diversifier l’économie et moderniser le pays. Sur le plan institutionnel, Riyad a créé en 2019 la Saudi Data & AI Authority (SDAIA), agence chargée de piloter la stratégie nationale en matière de données et d’IA. L’ambition affichée est de faire de l’Arabie saoudite l’un des leaders mondiaux de l’IA d’ici la prochaine décennie, en capitalisant sur ses ressources financières et sa jeunesse très connectée. Dès 2020, le royaume organisait un Global AI Summit à Riyad, réunissant experts internationaux et annonçant des partenariats tous azimuts, montrant sa volonté de se placer au centre du jeu global de l’IA.

Sur le volet défense et sécurité, l’Arabie saoudite a multiplié les annonces récentes, en particulier dans le sillage du rapprochement avec les États-Unis. En 2023-2024, dans un contexte de négociations diplomatiques plus larges, Riyad a obtenu l’engagement de plusieurs grandes firmes technologiques américaines à investir en Arabie saoudite pour y développer des capacités de cloud et d’IA. Un plan d’investissement conjoint américano-saoudien – d’un montant colossal avoisinant 600 milliards de dollars – a été évoqué en 2025, comprenant des volets défense, énergie et technologies. Sur la partie IA, ce partenariat s’est traduit par la création d’une nouvelle entité saoudienne dédiée : la société HUMAIN, fondée à l’initiative du prince héritier MBS et soutenue par le fonds souverain PIF. HUMAIN a pour mission de piloter le développement de l’infrastructure IA du pays et de servir de champion national face aux géants étrangers. Elle a conclu un accord historique avec le fabricant américain AMD en 2025, prévoyant un investissement conjoint de 10 milliards de dollars pour déployer 500 MW de capacité de calcul à base de processeurs AMD sur cinq ans. Parallèlement, HUMAIN compte également intégrer des solutions Nvidia : il est prévu que des centaines de milliers de GPU Nvidia de dernière génération équipent une série de nouveaux centres de données en Arabie saoudite d’ici 5 ans. La première phase concrète annoncée est le déploiement d’un supercalculateur baptisé Grace Blackwell GB300 (mêlant CPU Grace et GPU Hopper de Nvidia) interconnecté en Infiniband, qui formera le cœur d’une région cloud dédiée à l’IA. En outre, HUMAIN a signé avec AWS (Amazon Web Services) un accord de 5 milliards de dollars pour créer en Arabie saoudite une “zone d’IA” spéciale dans le cloud AWS, mettant à disposition du pays les outils avancés d’Amazon (SageMaker, etc.) sur une infrastructure localisée. Qualcomm est également sur les rangs : un protocole d’accord prévoit une coopération sur les semi-conducteurs et l’IA embarquée, possiblement pour développer à terme des puces d’IA customisées pour le royaume.

Sur le plan des infrastructures, ces annonces se traduisent par une montée en puissance rapide de la capacité de calcul saoudienne. Certes, le pays part de plus loin que les EAU : son parc de data centers était jusqu’ici modeste et fragmenté, souvent dominé par les implantations locales de Microsoft Azure, Google ou Oracle. Mais avec l’arrivée de HUMAIN et des investissements associés, le royaume prévoit de construire plusieurs grands centres de calcul répartis sur son territoire, totalisant à terme plusieurs centaines de mégawatts dédiés à l’IA. Ces centres bénéficieront d’une électricité abondante et bon marché (le royaume dispose de ressources pétrolières, gazières et solaires considérables), atout non négligeable car la consommation énergétique est un facteur limitant dans de nombreux pays pour l’extension des supercalculateurs. En misant sur son faible coût de l’énergie et sur des financements publics colossaux, l’Arabie saoudite entend ainsi combler son retard sur les puissances établies et même accueillir des charges de travail d’entreprises étrangères. En effet, en investissant elle aussi dans des data centers aux États-Unis via sa société DataVolt (qui injecte 20 milliards dans des centres de données américains), Riyad scelle un échange de bons procédés : les capitales du Golfe financent l’extension des infrastructures aux US, et en retour les géants US du cloud intensifient leur présence en Arabie. Ce maillage bilatéral garantit aux Saoudiens un accès privilégié aux technologies de pointe (à l’instar des GPU Nvidia) tout en les liant plus étroitement à l’écosystème américain – un choix stratégique visant à éviter l’isolement technologique.

En termes d’usages militaires de l’IA, l’Arabie saoudite reste relativement discrète publiquement, mais on peut déceler quelques orientations. Le royaume modernise rapidement ses forces armées avec l’aide de partenaires (États-Unis, mais aussi récemment coopération accrue avec la Chine et la Turquie). On sait par exemple que Riyad a acquis des drones armés chinois Wing Loong et travaille avec la Turquie pour coproduire des drones Bayraktar, ce qui montre l’intérêt pour les systèmes autonomes. L’IA sera logiquement embarquée dans ces plateformes (navigation autonome, sélection de cibles, etc.). De plus, le pays a de vastes besoins en surveillance de son territoire et de ses infrastructures critiques (champs pétroliers, frontières désertiques, sites sensibles) : il a déjà déployé des solutions de vidéosurveillance intelligente et de détection automatisée d’intrusions, souvent fournies par des compagnies étrangères. La stratégie actuelle vise probablement à internaliser progressivement ces savoir-faire. La montée en puissance de compétences locales est à cet égard cruciale : HUMAIN et SDAIA ont lancé des programmes de formation de milliers de jeunes Saoudiens aux techniques de l’IA avancée, couvrant la simulation, la robotique et les jumeaux numériques. L’idée est de créer un vivier d’ingénieurs et de chercheurs nationaux capables d’adapter les algorithmes d’IA aux besoins spécifiques du royaume, y compris dans le domaine militaire. Doctrinalement, l’Arabie saoudite n’a pas encore publié de doctrine équivalente au DoD 3000.09 américain, mais les déclarations de ses officiels insistent sur l’équilibre entre sécurité et développement : il s’agit d’exploiter l’IA pour la prospérité économique et la sécurité nationale, tout en gardant un contrôle étatique fort pour éviter les dérives. Cela se traduit par un usage de l’IA également tourné vers le contrôle interne (sécurité intérieure, surveillance numérique), volet sensible qui est souvent un angle mort des analyses mais qui mobilise aussi de vastes ressources en IA dans ces pays.

Comparativement, les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite présentent des points communs notables dans leur quête de puissance numérique : des moyens financiers considérables, une volonté politique au plus haut niveau (incarnée par des leaders jeunes et technophiles, MBZ et MBS, qui personnifient ces projets), et le recours à des partenariats stratégiques avec les acteurs dominants (notamment les États-Unis) pour accélérer leur rattrapage. Tous deux misent sur la construction d’infrastructures souveraines de calcul sur leur sol – le campus de 5 GW d’Abu Dhabi d’un côté, le réseau de supercalculateurs saoudiens de l’autre – afin d’asseoir leur autonomie technologique. Ils ont compris que la puissance de calcul est la clé pour accéder au statut de hub régional de l’IA, d’autant que l’Europe a tardé à occuper cet espace (ralentie par des contraintes énergétiques et réglementaires). Ces États du Golfe bénéficient en effet d’un avantage unique : une énergie abondante et à bas coût, qui leur permet d’envisager l’hébergement de fermes de serveurs colossales là où d’autres peinent à obtenir les autorisations ou l’électricité nécessaire.

Néanmoins, des différences existent entre les deux. Les Émirats semblent avoir opté pour une approche plus centralisée autour d’un champion national (G42/Khazna pour l’infrastructure, EDGE pour l’armement) et une diplomatie multi-directionnelle (partenariats avec les États-Unis, la France, Israël dans une certaine mesure, tout en ayant un œil sur les technologies chinoises). Leur taille plus réduite les rend aussi plus agiles et cohérents. L’Arabie saoudite, de par sa taille et son appareil bureaucratique, avance peut-être de manière plus fragmentée : elle doit coordiner l’action de multiples acteurs (ministères, fonds souverain, grandes entreprises comme Aramco qui investit aussi en IA, etc.), et son paysage industriel de défense est en construction (société publique SAMI créée en 2017 pour localiser la production d’armes). Riyad a toutefois l’avantage de ressources financières supérieures et d’un marché intérieur plus vaste pour amortir les investissements. Son initiative HUMAIN est très jeune et devra prouver son efficacité, là où les EAU ont déjà livré des résultats tangibles (produits d’EDGE vendus à l’export, campus IA en chantier). En termes d’ambitions géopolitiques, les deux pays voient dans l’IA un moyen de s’affirmer comme leaders régionaux incontournables, y compris vis-à-vis de puissances moyennes comme l’Iran ou la Turquie. Ils cherchent également à diversifier leurs alliances : en se positionnant comme des partenaires technologiques de choix, ils s’assurent le soutien continu des Occidentaux tout en gagnant le respect (ou la crainte) de leurs rivaux.

La leçon à tirer pour la France et les autres pays européens, c’est que la volonté politique et l’investissement stratégique peuvent en quelques années changer la donne. Ce que ces États du Golfe ont accompli – bâtir de zéro une capacité de calcul souveraine et attirer les géants de la tech à investir chez eux – semblait improbable il y a une décennie. Aujourd’hui, ils figurent parmi les acteurs qui vont peser dans la définition des standards et dans la répartition de la puissance numérique mondiale

À l’avenir, les nations capables d’allier souveraineté technologique, puissance de calcul et cadre stratégique d’emploi de l’IA de défense s’imposeront comme les nouvelles puissances de l’ère de l’intelligence artificielle.

Jade Delozanne, Commission de l’Innovation de défense de l’INAS

L’INAS a pour mission de contribuer au débat public sur les questions stratégiques. Ses publications reflètent uniquement les opinions de leurs auteurs et ne constituent en aucune manière une position officielle de l’organisme.

Pour aller plus loin :

  • Rapport institutionnel : Ministère des Armées. (2021). Stratégie ministérielle de l’intelligence artificielle. https://www.defense.gouv.fr
  • Rapport institutionnel : OTAN. (2021). Artificial Intelligence Strategy. https://www.nato.int/cps/en/natohq/official_texts_187617.htm
  • Rapport institutionnel : Commission européenne. (2022). Chips Act – Règlement sur les semi-conducteurs. https://ec.europa.eu/
  • Rapport institutionnel : U.S. Department of Defense. (2012, updated 2023). Directive 3000.09 – Autonomy in Weapon Systems. https://www.esd.whs.mil/DD/
  • Article de presse : Vincent, P. (2024, 11 janvier). La France face au déficit de puissance de calcul en IA. Le Monde.https://www.lemonde.fr/
  • Article de presse : Financial Times. (2024, 23 octobre). UAE signs deal to import 500,000 Nvidia chips yearly from the US. https://www.ft.com/
  • Rapport institutionnel : Saudi Data and AI Authority (SDAIA). (2020). National Strategy for Data and Artificial Intelligence (NSDAI). https://sdaia.gov.sa/
  • Article de presse : Bloomberg. (2025, 4 mai). Saudi Arabia’s HUMAIN strikes $10B AI chip deal with AMD. https://www.bloomberg.com/
  • Article de presse : CNBC. (2025, 12 mai). France and UAE launch €30B AI computing campus to rival US and China. https://www.cnbc.com/
  • Rapport industriel : EDGE Group. (2024). Annual Innovation Defense Report. https://edgegroup.ae/