Le principal conglomérat de construction navale de l’État chinois, China State Shipbuilding Corporation, a récemment présenté un modèle de drone sous-marin d’une taille sans précédent. Il est considéré comme un « petit sous-marin sans pilote pour opérations spéciales » alors qu’il s’agit du plus grand drone agissant sous l’eau (de 38 à 43 mètres selon sa configuration).
Cet appareil militaire reconfigurable peut attaquer des navires ennemis, poser des mines ou encore soutenir des opérations spéciales. De par ses grandes dimensions, ce modèle peut également jouer le rôle de vaisseau-mère pour des drones sous-marins de plus petite taille. Le véhicule sans pilote est en mesure d’évoluer à des profondeurs allant jusqu’à 450 mètres à une vitesse maximale de vingt nœuds. Compte tenu de son design atypique se passant de voiles, sa conception luipermet d’optimiser sa furtivité et de réduire sa traînée dans l’eau.
Ainsi, la Chine rejoint la course aux drones de grande taille déjà engagée par les autres États militaires majeurs, mais aussi, dans une moindre mesure, poussée par des États moyens innovants. C’est pourquoi, cet article vise à dresser un bref panorama du marché des drones sous-marins extra-larges dans le monde militaire.
La France ambitionne de développer un drone sous-marin de grande taille pour compléter sa gamme de moyens submersibles. Éprouvé secrètement depuis novembre 2020 et dévoilé un an après, un démonstrateur de drone est ainsi en développement depuis 2016. Le 4 mai 2023, « la DGA a attribué à Naval Group un contrat portant sur l’étude des principaux usages opérationnels et de l’architecture système d’un drone de combat sous-marin, le Unmanned Combat Underwater Vehicle (UCUV) », pour les neuf prochains mois. Aussi, le 30 janvier 2024, la DGA a notifié à « Naval Group un accord-cadre visant à concevoir un démonstrateur de drone sous-marin de combat dans le cadre du programme UCUV ». « Cet accord doit permettre le développement des différentes technologies indispensables à la réalisation d’un démonstrateur UCUV, telles que l’autonomie énergétique et l’intégration de capteurs et de capacités de traitement autonomes ». L’entreprise capitalise sur son expertise dans la conception et le développement de systèmes sous-marins autonomes et rassemble de nombreux partenaires français. Pour ce projet, Naval Group a investi sur fonds propres depuis 2016. Ce véhicule sous-marin extra-large mesure environ 12 mètres de long et déplace une dizaine de tonnes. Il présente une endurance d’une semaine, et dispose d’une demi-douzaine de compartiments capables d’accueillir différentes charges utiles. Plus précisément, « Capable d’atteindre des profondeurs de plusieurs centaines de mètres, ce drone est équipé d’une hélice à sept pales, de barres de plongée en forme de X et d’un mât basculant ». Pour sa mise en œuvre, « Naval Group a l’intention de tester plusieurs types de solutions de propulsion ». Sa qualification en mer est prévue afin de « tester des briques technologiques dans un cycle court. Parmi les capacités uniques développées par Naval Group, en lien avec ses partenaires, figure l’autonomie décisionnelle contrôlée (ADC), créée pour être le cerveau embarqué des drones, tout en offrant aux marins la possibilité de superviser tous les drones en toute sécurité, de planifier et de réaliser des missions complexes, en plus des navires avec équipage ». Pour la Marine nationale, détenir un tel drone de combat permettrait de protéger et surveiller les abords de ses bases navales, en particulier celle de l’Île-Longue, qui abrite ses quatre Sous-marins Nucléaires Lanceurs d’Engins (SNLE).
Ce véhicule pourrait aussi servir d’éclaireur à un Groupe Aéronaval (GAN) et mener des missions de renseignement dans des environnements contestés. Concrètement, un premier exemplaire opérationnel de ce drone doit être délivré dans moins d’un an.
Les recherches américaines portant sur les drones submersibles de grande taille se multiplient actuellement. En effet, l’US Navy souhaite acquérir des véhicules sans pilote extra-larges. La décision d’annuler Snakehead en raison de son absence d’adaptation au déploiement à partir des sous-marins nucléaires a laissé un grand écart entre les drones moyens et les volontés de grandeur. Pour pallier cette lacune, l’US Navy a mis en place le programme Orca et prévoit d’en acheter neuf. Cet engin répond à un véritable besoin opérationnel émergent. A l’origine, ce drone est largement inspiré de l’Echo Voyager, introduit par Boeing en 2016. Il s’appuie sur un système de propulsion diesel-électrique qui lui confère une autonomie de 6.000 milles marins et est doté d’un « propulseur à réaction à pompe enveloppé plutôt que l’hélice conventionnelle d’un Voyager ».
En conséquence, ce véhicule sera plus discret, car plus silencieux que son prédécesseur. Plus précisément, il s’agit d’un drone de 26 mètres de long disposant d’une section de charge utile modulaire d’environ 85 centimètres et d’une capacité d’emport de huit tonnes. Ces charges utiles pourront être plurielles, allant de mines, à des sonars, voire des systèmes d’armes, y compris des torpilles ou des missiles de croisière.
L’Orca sera trop grand pour être lancé à partir d’un sous-marin habité. Par conséquent, il sera lancé depuis un quai pour effectuer ses multiples missions. De fait, l’Orca est assez petit pour être submerger depuis une jetée, ce qui permet d’éviter l’entretien et le réapprovisionnement dans l’eau. Si les détails ne sont pas encore révélés, on peut déduire des informations misent à disposition que l’Orca sera une plateforme très performante, bien qu’étonnamment bon marché pour les nouvelles possibilités opérationnelles qu’elle offre. Le sous-marin Orca sera nécessairement un système autonome grâce à son IA embarquée qui prendra activement des décisions sans intervention humaine. Il devra déterminer lui-même s’il doit engager ses systèmes d’armes.
Cette autonomisation s’explique par le fait qu’il est très difficile de maintenir des liaisons de communication de qualité sous l’eau. Dans cette optique, les Orcas peuvent être programmés pour revenir près de la surface pour « transmettre des mises à jour et recevoir de nouvelles instructions de la base d’attache ». Néanmoins, pour ne pas être détectés, il est primordial de limiter au maximum ces phases de surface. L’Orca peut être utilisé pour des missions de lutte contre les mines, de lutte anti-sous-marine, de lutte antisurface, de guerre électronique et de frappe sans risquer la vie de ses opérateurs. Plus précisément, l’Orca a été pensé pour la guerre anti-mines puisque c’est une arène dans laquelle les gros drones pourraient posséder des atouts. Assurément, il doit répondre au besoin critique et urgent de pouvoir poser des mines sous-marines afin d’empêcher des navires ennemis d’accéder aux points d’entrée stratégiques. Dans cette optique, l’Orca pourrait également être déployé pour poser des champs de mines mobiles intelligentes.
Ces derniers seraient gérés par l’IA et pré-déployés sur le fond marin en attendant d’être activés par un drone sous-marin extra-large agissant comme relais. « Dans un premier temps, il est prévu d’intégrer des capteurs de surveillance et une capacité de pose de mines, et surtout d’être utilisé comme banc d’essai pour développer un concept d’opérations sur la façon d’exploiter régulièrement des sous-marins drones. Mais dans les phases ultérieures, l’Orca XLUUV pourrait évoluer pour transporter des dispositifs de déminage, des capteurs de surveillance et même des systèmes de guerre électronique qui suivent et perturbent les capteurs et les communications ennemis, bien que cela nécessiterait probablement d’opérer près de la surface. En outre, il pourrait acquérir des capteurs et de l’armement pour effectuer des missions de lutte anti-sous-marine, de guerre de surface (chasse aux navires de guerre ennemis) et de frappe de surface (vraisemblablement lancement de missiles de croisière sur des cibles terrestres) ».
Ce véhicule pourrait effectuer des missions offensives dans de futurs combats navals. A terme, les drones extra-larges américains pourraient « Jouer un rôle dans la traque des futures torpilles nucléaires intercontinentales russes « Poseidon » puisque celles-ci seront trop rapides et/ou trop profondes pour être facilement interceptées par des sous-marins habités ». De plus, ce véhicule pourrait pénétrer dans les eaux moins profondes au large des côtes chinoises pour mener des opérations d’Intelligence, Surveillance and Reconnaissance (ISR) ou de guerre électronique à des points stratégiques. Entre février et juin 2024, Boeing devait livrer cinq Orcas à l’US Navy. Jusqu’à présent, la marine américaine a acquis cinq prototypes et un véhicule d’essai.
Cette livraison a été retardée de plusieurs années avec un budget affilié plus coûteux que prévu. Elle représente « l’aboutissement de plus d’une décennie de travail pionnier », la conception et le développement avaient commencé en 2012.
De son côté, la Royal Navy dispose déjà d’un très grand système sous-marin autonome qu’elle utilise pour des charges utiles diverses. Le projet Cetus devra être livré prochainement et viendra compléter les sous-marins de classe Astute. Cette plateforme pèsera 17 tonnes et mesurera 12 mètres de long. Elle sera capable de « plonger plus profondément que n’importe quel navire de la flotte sous-marine actuelle » et d’avoir une endurance allant jusqu’à 1.000 milles en une seule mission. Alimenté par batterie, le drone fonctionnera indépendamment ou en soutien aux sous-marins habités traditionnels. Sa taille lui permet de rentrer dans un conteneur d’expédition pour un déploiement rapide dans le monde entier. Toutefois, son armement n’est pas prévu. Avec ce projet, la Royal Navy souhaite accroître sa présence dans l’espace de combat sous-marin et conserver son avantage concurrentiel dans ce milieu grâce à l’accomplissement d’opérations d’ISR et de lutte anti-sous-marine.
L’Australie peut compter sur Anduril pour développer un véhicule sous-marin autonome extra-large. La spécificité de ce drone est d’utiliser une coque humide afin que l’eau puisse entrer et sortir librement de l’appareil. Cela explique le bas prix du drone, car pour maintenir les coûts bas et les délais serrés de trois ans, Anduril a fait le choix de supprimer la coque sous-pression.
Cela implique une coque plus facile et rapide à construire. Les systèmes clés à l’intérieur sont scellés dans leurs propres modules de pression étanches beaucoup plus petits. De fait, il est beaucoup moins cher de construire un tas de petites coques sous pression qu’une grande, et si l’une d’entre elles tombe en panne, seul l’équipement de ce module sera endommagé.
Toutefois, la légèreté de la coque rend les drones moins faciles à lancer et à récupérer. De manière générale, cet engin est présenté comme une plateforme multi-missions, endurante qui peut être envoyée sur « un large éventail de missions militaires et non militaires telles que le renseignement avancé, l’inspection des infrastructures, la surveillance, la reconnaissance et le ciblage ».
La Corée du Sud développe également ses propres drones ultra-larges. L’entreprise Hanwha Systems a signé un contrat en novembre 2023 et ambitionne de construire un prototype d’ici août 2027. Il s’agira d’un drone ultra-large spécialisé dans les missions d’exploitation sous-marines difficiles ainsi que pour mener des missions de reconnaissance et de lutte anti-sous-marine. Finalement, « la décision de la Corée du Sud de développer un drone ultra-large était plutôt attendue, car son voisin nord-coréen a révélé et testé un drone d’attaque nucléaire appelé « Haeil » en 2023 » .
La marine israélienne a été l’une des premières à adopter des drones de grande taille avec le drone Caesaron. Un mât optronique télescopique relativement grand se replie dans la coque. Lorsqu’il est hissé, il a de remarquables performances en termes de renseignement et d’identification. La tête du mât est équipée de plusieurs capteurs à même de fournir des renseignements en matière de communications et de la guerre électronique. Le drone peut être utilisé pour la cartographie et la lutte contre les mines. Le Caesaron possède une charge utile inhabituelle, dans le cadre de la lutte contre les mines, il peut transporter quatre petits drones de combat.
Ainsi, l’attrait pour les drones sous-marins de grande taille se justifie au regard des menaces dont regorgent l’océan. La collecte de renseignement en fait des engins idéaux. Assurément, ces XLUUV sont particulièrement aptes à remplir cette tâche. De manière autonome, ils peuvent quitter leur quai et se déplacer discrètement vers la zone opérationnelle sans équipage embarqué et par conséquent, pendant de longues périodes. Leur technologie les rend capables de recueillir des renseignements (électronique, acoustique, optique) sur le trafic dans une zone donnée, de détecter les cibles hostiles et de rapporter leurs découvertes à la station, de se positionner sur le fond marin et de libérer des capteurs mobiles . Aussi, ils constituent de parfaites barrières anti-sous-marines. Ils peuvent procéder à des patrouilles dans une zone prédéterminée pendant laquelle ils peuvent être amenés à reconnaître des cibles d’intérêt et à les identifier. Enfin, le drone peut être chargé de déployer une charge utile dans les profondeurs.
Finalement, les véhicules sans pilote extra-larges constituent une « nouvelle classe de drones capables de soutenir des missions d’endurance offrant un contrôle dans des domaines maritimes complexes et en constantes évolutions » .
En somme, la tendance dans le domaine des drones sous-marins est à l’extra-large. Les modèles les plus récents, introduits aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Chine et ailleurs sont plusieurs fois plus grands que la plupart des modèles déjà en service. Cela se justifie par une plus grande capacité et une plus grande modularité . Néanmoins, cet agrandissement s’accompagne d’une complexité certaine.
Audrey Clausel, Analyste au sein de la Commission Innovation de Défense de l’INAS
L’INAS a pour mission de contribuer au débat public sur les questions stratégiques. Ses publications reflètent uniquement les opinions de leurs auteurs et ne constituent en aucune manière une position officielle de l’organisme.
Pour aller plus loin :
“Naval Group to Study Underwater Combat Drone System”, Defense-Arospace, June 8, 2023.
LAGNEAU Laurent, « Marine nationale : Naval Group a signé un accord-cadre pour un démonstrateur de drone sous-marin de combat », Zone militaire opex360, 30 janvier 2024.
“Naval Group to Study Underwater Combat Drone System”, Defense-Arospace, June 8, 2023. Ibid.
“Naval Group to Study Underwater Combat Drone System”, Defense-Arospace, June 8, 2023. Op. Cit.
“Naval Group to Study Underwater Combat Drone System”, Defense-Arospace, June 8, 2023. Ibid
ROBLIN Sébastien, « The Navy’s Underwater
ROBLIN Sébastien, « The Navy’s Underwater Drone is the Future of Submarine Warfare », The National Interest, November 6, 2020.
PARKEN Oliver, “Orca Drone Submarine delivered to Navy”, The warzone, December 20, 2023. Ibid.
ABDI Zach, “US Navy Expects More Orca Extra Large UUV Deliveries This Year”, Naval News, January 17, 2024.
ROBLIN Sébastien, « The Navy’s Underwater Drone is the Future of Submarine Warfare », The National Interest, November 6, 2020. Ibid.
“Orca XLUUV, USA”, Naval Technology, May 20, 2020.
PARKEN Oliver, “Orca Drone Submarine delivered to Navy”, The warzone, December 20, 2023.
« Naval Group étoffe ses équipes d’IA pour développer les « oreilles d’or » artificielles », Intelligence Online, 15 mars 2024.
LAGNEAU Laurent, « Marine nationale : Naval Group a signé un accord-cadre pour un démonstrateur de drone sous-marin de combat », Zone militaire opex360, 30 janvier 2024. Op. Cit.
ROBLIN Sébastien, « The Navy’s Underwater Drone is the Future of Submarine Warfare », The National Interest, November 6, 2020. Op. Cit.
ROBLIN Sébastien, « The Navy’s Underwater Drone is the Future of Submarine Warfare », The National Interest, November 6, 2020. Ibid.
“Orca XLUUV, USA”, Naval Technology, May 20, 2020. Op. Cit.
GADY Franz-Stefan, « Australia’s future submarine fleet and uninhabited undersea systems », International Institute for Strategic Studies, September 23, 2021.
ROBLIN Sébastien, « The Navy’s Underwater Drone is the Future of Submarine Warfare », The National Interest, November 6, 2020. Ibid.
GADY Franz-Stefan, « Australia’s future submarine fleet and uninhabited undersea systems », International Institute for Strategic Studies, September 23, 2021. Ibid.
“Extra-large unmanned undersea vehicle, Report to Congressional Committees”, Unites States Government Accountability Office, September 2022.
ABDI Zach, “US Navy Expects More Orca Extra Large UUV Deliveries This Year”, Naval News, January 17, 2024.
PARKEN Oliver, “Orca Drone Submarine delivered to Navy”, The warzone, December 20, 2023. Op. Cit.
BAIN Loz, « Enormous underwater military drone won’t be waterproof », New Atlas, November 3, 2022. Ibid.
BAIN Loz, « Enormous underwater military drone won’t be waterproof », New Atlas, November 3, 2022. Ibid.
BAIN Loz, « Enormous underwater military drone won’t be waterproof », New Atlas, November 3, 2022.
“UK Invests in UUV Technologies”, UK Ministry of Defence, March 4, 2020.
PERUZZI Luca, « Seabed Warfare: NATO and EU Member State Responses », European Security & Defence, April 11, 2023.
HONRADA Gabriel, “Underwater drones herald sea change in Pacific warfare”, Asia Times, January 12, 2022.
CHANG Jamie, “Hanwha systems to build new Ultra-Large AUV Platform For ADD”, Naval News, November 14, 2023.
“UK Invests in UUV Technologies”, UK Ministry of Defence, March 4, 2020. Op. Cit.
ROJOEF Manuel, « US Navy Receives First Orca Drone Submarine From Boeing », The Defense Post, December 21, 2023.
H. I. Sutton, “World’s largest submarine drone being built in Germany”, Naval News, February 8, 2023.
© 2025 INAS